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LA LITTÉRATURE POPULAIRE DE L’EXTRÊME NORD.

et qui paraît avoir été, pour les peuples de race altaïque, l’étape entre la Mongolie et la Scandinavie. On sait que la Bjarmie, l’ancien royaume des Tchoudes, a été conquise, au XIIe siècle, par la République de Novgorod, et que de cette époque date son rattachement au monde russe.

En Asie, par delà l’Oural, cette même zone ethnique s’étend vaguement, à travers des contrées inclémentes et désertes, occupées à diverses reprises par des peuplades naguère encore fétichistes, dont les Kamennyi-Babi, les frustes idoles de pierre, attestent le culte, jusque dans le voisinage de l’océan Pacifique.

Là-bas, sous l’éternelle forêt du Nord, au bord des grands marais solitaires, sur les plateaux de granité qui s’étendent entre le cercle polaire et l’océan Glacial, il y a encore place pour le rêve purement objectif et pour la foi naïve.

Sur les eaux de ces grands fleuves qui ne dégèlent que temporairement, sur ces golfes et ces lacs, analogues, comme mode de formation et comme âge géologique, aux fjords de la Norvège, mais plus morts, plus larges, plus dormans et plus glacés, plus inviolés aussi, flottent encore, dans un vague et froid brouillard, les débris du vieux mythe Scandinave, de la cosmogonie d’Odin. Mieux que dans leurs terres classiques, la Norvège et la Suède, devenues chrétiennes et policées, on pourrait les retrouver là, dans les grands bois, ou bien, au-delà même de la zone des forêts, au-dessus des toundras, des prairies tremblantes sur les bords desquelles vaguent les rennes et les élans, sur les rochers presque dénudés, en vue des caps où vient, chaque année, s’appuyer la banquise polaire, et qu’éclaire, à rares intervalles, le reflet des aurores boréales, incendies autour desquels, pendant la longue nuit d’hiver, dans leur retraite inaccessible, se chauffent les dieux exilés.

Mais, à côté de la religion classique des grands dieux du Valhalla, de l’Olympe Scandinave, à côté de la croyance à la divinité principale d’Odin le Borgne, dont l’œil unique éclaire le monde, à côté de ce mythe solaire, apporté par des races supérieures, les Normands, peut-être les Phéniciens[1] — ou

  1. L’Ultima Thule (sans doute l’une des îles Shetland), et mieux encore les régions où les navires phéniciens allaient, en contournant l’Europe, chercher l’ambre jaune, cette résine fossile de la région baltique, peuvent avoir été, durant l’antiquité, des lieux de contact entre les Phéniciens, adorateurs du Soleil, et les peuplades encore barbares de l’Extrême-Nord, qui ont pu leur emprunter certaines croyances.
    D’autre part, il existe une similitude absolue, et impossible à attribuer au