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IV

Si le comte d’Avaray avait abandonné la direction des affaires du Roi quelques années plus tôt, son départ eût été considéré parmi les émigrés comme un événement d’importance. Ceux qui jalousaient sa faveur et attribuaient, les uns à sa modération relative, les autres à l’intransigeance de ses principes, l’échec des tentatives royalistes depuis quinze ans, se fussent réjouis, tandis que ses admirateurs auraient déploré l’effacement d’un conseiller qui, même lorsqu’il s’était trompé, n’avait jamais eu en vue que l’intérêt de son maître, et dont toute la conduite attestait le désintéressement.

Mais, au moment où il quitte la scène sans que l’on puisse espérer ou craindre de l’y voir revenir, Louis XVIII n’est pas seulement condamné à l’inaction par les circonstances qui semblent se liguer pour lui fermer le chemin de son royaume ; il l’est aussi, comme nous l’avons dit, par les Cabinets européens qui ne croient pas plus au l’établissement des Bourbons qu’ils ne le souhaitent. La pauvre cour d’Hartwell est tombée dans un calme morne et mélancolique où l’on pourrait voir la preuve d’un renoncement total à d’anciennes espérances, reconnues irréalisables si l’on ne savait qu’en dépit de malheurs accablans Louis XVIII a conservé sa foi dans le triomphe de ses légitimes revendications. Le changement survenu dans son conseil passe inaperçu même en Angleterre, inaperçu à ce point que dix mois plus tard, le prince de Galles, récemment proclamé régent, invitant les princes de la maison de France à une fête qu’il doit donner au jour anniversaire de la naissance de son père, le roi Georges III, fait porter une invitation au comte d’Avaray.

« Il s’est passé quelque chose de fort singulier, écrit Blacas à son prédécesseur. M. le régent avait oublié que vous étiez à Madère et avait chargé le général Hamond de vous chercher à Londres et ensuite à Hartwell. Effectivement, ne vous ayant pas trouvé à Londres, il est venu ici, vous a demandé. On a cru qu’il voulait parlor du duc d’Havre, et on l’a conduit chez lui… On en est venu aux explications et le fait a été éclairci. »

Cet incident, d’autres encore non moins révélateurs que celui-ci de l’indifférence et de l’oubli dont est l’objet la cour d’Hartwell, ne permettent pas de s’étonner du caractère de la