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comme un autre, traité comme tel, sans voir les Français, comme vous l’imaginez bien, et sans leur faire aucune espèce d’avance. Cependant, ils ne cherchent pas à me nuire, sans que je sache trop pourquoi, cette situation fait spectacle et contrarie si fort les apparences que j’ai reçu des lettres de Vienne adressées à M… ci-devant ministre, etc. L’état de guerre où je suis a pour moi le grand avantage de me dispenser de toute communication avec ces messieurs. Les autres sont obligés de dévorer repas, Te Deum, feux d’artifices, toasts, ce qui est ma foi bien indigeste. A tout prendre, je trouve qu’un homme extrêmement malheureux ne saurait guère être plus heureux. Voilà ma position, mais que je voudrais savoir quelque chose de la vôtre. »

Le 24 décembre 1809, la note est plus sombre.

« Je dirai comme vous, cher et aimable ami : hélas ! que vous dirais-je ? En effet, que peut-on dire au milieu de ce renversement universel dont nous sommes les témoins et les victimes. Vous avez vu la puissance autrichienne disparaître en trois mois comme un brouillard du matin. A-t-on jamais rien vu d’égal à six armées commandées par six princes, tous grands généraux et tous d’accord ; à cette invasion de l’Italie, avant d’être sûr de rien en Allemagne ; à cette armée de Ratisbonne qui ne sait pas où est Buonaparte (vrai au pied de la lettre) et qui est écrasée en un instant pendant qu’une armée de quarante mille hommes écoute tranquillement le canon de l’autre côté du Danube et demande ce que c’est ; à ce général qui laisse traverser un fossé appelé Danube sans tirer un coup de fusil sur les traverseurs ; qui se retranche de l’autre côté et se laisse tourner, etc., etc. ? Enfin, mon cher comte, miracles, miracles et toujours miractes. Il faut s’envelopper la tête comme César et laisser frapper.

« Malgré tout ce qu’on nous raconte de la France où l’on souffre sans doute, je trouve dans le cœur humain que la nation se laissera enivrer par des succès inouïs et se consolera comme les anciens Romains du temps des Empereurs, des soufflets qu’elle reçoit par ceux qu’elle donne. L’homme est fait ainsi : voilà cette monarchie universelle dont on a tant parlé, réalisée sous nos yeux, car jamais on n’a entendu ce mot universelle au pied de la lettre, et il me semble que l’Europe entière moins l’Angleterre ne laisse pas de faire un bel établissement pour un officier. Vous me dites : N’y aura-t-il jamais un Prince qui sache