Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/300

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une véritable jouissance à les mettre sous les yeux du Roi ! Il vous a reconnu à tout ce que contient votre lettre, et il me charge de vous le dire en vous renouvelant l’assurance de tous les sentimens qu’il vous porte.

« Je ne peux pas calculer précisément encore l’instant de mon retour à Pétersbourg. Il tient à des circonstances et à des affaires dont il est impossible que je prévoie le terme. Mais soyez certain, mon très cher comte, qu’on se trouve trop bien dans votre voisinage pour ne pas chercher à y revenir.

« Le comte d’Avaray m’ôte la plume des mains ; il veut répondre à votre lettre. Je vous aime trop, l’un et l’autre, pour ne pas lui en laisser le plaisir. »

Le retour de Blacas à Saint-Pétersbourg suspend pour quelques mois ce commerce épistolaire. Mais, lorsqu’il est reparti en juin 1808, et définitivement cette fois, la correspondance est reprise. Désormais, elle ne sera plus interrompue. On nous saura gré de reproduire encore quelques-unes des réflexions que les événemens inspirent au comte de Maistre et qui s’agrémentent souvent des informations qu’il y mêle.

Le 6 août, il écrit : « Il y a trois jours que le Caulaincourt[1] a donné un repas superbe de quatre-vingts couverts environ, où il ne manquait que vous et moi pour célébrer la naissance de son maître. Le comte Nicolas se leva le premier pour annoncer la santé de l’Empereur Napoléon d’abord ; après, Caulaincourt porta celle de l’Empereur Alexandre : mais écoutez un charmant sproposito : pendant qu’on se préparait à ces deux grands actes, la musique russe qui n’y entendait nulle finesse se mit à jouer God save the King. Certaines personnes étaient tentées d’y entendre finesse ; mais ce fut tout uniment une heureuse bêtise.

« Bien obligé, mon cher comte, de votre intérêt pour mon fils[2], il m’est revenu et je ferai ce que je pourrai pour le retenir. Il a fait preuve en deux occasions d’une valeur tranquille et à toute épreuve. C’est assez. Je m’ennuie de le voir jouer sur ce vilain échiquier. Le général (Barclay de Tolly) a demandé pour lui la croix de Sainte-Anne et celle de Saint-Wladimir. J’espère qu’il les aura. Je ne me repens nullement de l’avoir jeté dans la carrière des armes. Pour longtemps, il n’en aura pas

  1. Le général de Caulaincourt avait été nommé, après Tilsitt, ambassadeur de France en Russie.
  2. Il avait pris, comme officier, du service dans l’armée russe.