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cause royale. Il essaya de reprendre les affaires dont Blacas poursuivait sans succès la solution. Il en entretint le chancelier baron de Budberg. Ordre avait été donné par le Tsar à son ministre de répondre aux multiples requêtes du prétendant par de banales formules de politesse. D’Avaray n’obtint rien de plus. Bientôt après, revenu à Mitau, il apprenait que ses démarches, de quelque réserve qu’il les eût entourées, avaient paru aussi déplacées qu’inopportunes et qu’on l’accusait de ne suggérer au Roi que des projets extravagans. Il ne pardonna pas à Budberg de professer une telle opinion sur son compte. Il le lui pardonna d’autant moins que peu de temps après, à propos de la proclamation du Roi, le chancelier affecta dans sa correspondance avec Mitau de se passer du concours de d’Avaray. Dans un long mémoire, celui-ci expose ses griefs et se montre profondément blessé du sans façon avec lequel le chancelier de Russie l’avait traité en cette circonstance.

Blacas dut à la bonne réputation dont il jouissait à Saint-Pétersbourg de n’avoir pas à souffrir de ces tiraillemens. Il y demeura, suivant avec anxiété les événemens qui se déroulaient sur le territoire de la Prusse, où, après la bataille d’Eylau, Français d’un côté, Russes et Prussiens de l’autre, étaient restés en présence. Durant plusieurs mois, son rôle fut simplement un rôle d’informateur. A l’affût des nouvelles qui arrivaient du théâtre de la guerre et qu’il recueillait chez la duchesse de Wurtemberg, chez la princesse de Tarente, chez la comtesse Strogonof, à l’ambassade de Naples, à la légation de Sardaigne où de Maistre le recevait en ami, il les transmettait à Mitau avec les commentaires auxquels elles donnaient lieu.

Parfois aussi, quoique rarement, c’est par les ministres impériaux eux-mêmes qu’elles lui étaient communiquées ou qu’il apprenait ce qu’ils en pensaient, ce qu’en pensait l’Empereur. Au lendemain de la bataille d’Austerlitz[1], ayant rencontré dans un salon le prince Adam Czartorisky, celui-ci lui dit :

  1. Plusieurs émigrés, officiers dans l’armée russe, assistaient à cette bataille, et notamment le comte de Langeron, Emmanuel de Saint-Priest et son frère, le comte de Rastignac, le baron de Damas, M. de Boissaison, M. de Villerot, qui fut tué, et les deux, fils de la princesse de Broglie-Revel, dont l’aîné fut blessé à mort. Leur mère était en Russie. Le Tsar lui écrivit pour lui annoncer la mort de son fils et pour rendre hommage à la valeur de celui qui survivait. Mais cet éloge ne la consola pas. Toute à sa douleur, elle disait à Blacas :
    — Il a emporté tout mon bonheur. Je l’eusse sacrifié pour le Roi. Mais, c’est inutilement qu’il a péri.