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loyalement, avait informé Chamillart, mais qui, chez Marlborough, sentaient bien un peu la trahison, et l’arrière-pensée de se faire bien voir du prétendant Jacques III. Vis-à-vis de ce prétendant qui était son propre frère, la reine Anne elle-même passait pour être mieux disposée que vis-à-vis des héritiers hanovriens, peu aimés d’elle, de sa tante la princesse Sophie. Quels que fussent les motifs, assez difficiles à démêler, de Marlborough, il adressa à Berwick le 30 octobre, c’est-à-dire dans l’intervalle entre la capitulation de la ville de Lille et celle de la citadelle, une lettre qui fut portée par un trompette et dans laquelle, après avoir demandé parole au Duc de Bourgogne que ni son nom, ni le contenu de sa lettre ne seraient jamais sus que de lui et du Roi, il s’exprimait de la sorte : « Si Monseigneur le Duc de Bourgogne avoit la permission du Roy pour faire des propositions par voye de lettres aux députés, au prince Eugène et à moy, nous requiérant de les communiquer à nos maîtres, ce que nous ne pourrions nous dispenser de faire, cela feroit un tel effet en Hollande, que certainement la paix s’ensuivroit[1]. »

Le Duc de Bourgogne était à ce moment au camp du Saulsoy où se trouvait également Chamillart. L’ouverture de Marlborough fut accueillie par lui avec joie, car il souhaitait la paix, mais non sans méfiance. L’affaire était trop grave, en tout cas, pour qu’il n’en référât pas sur-le-champ à Versailles. Aussi s’empressait-il dès le lendemain d’écrire à Torcy, et, après l’avoir mis au courant de la proposition de Marlborough, il ajoutait :

« J’avoue que je ne compte pas beaucoup sur ce que dit ce duc, mais ce qui doit faire icy plus d’impression, c’est qu’il espère, à ce qu’il escrit, que le Roy n’oubliera pas les offres qu’il [le Roy] luy fit faire personnellement par le marquis d’Alegre, il y a trois ans, et qu’il [Marlborough] rejeta alors avec hauteur. Quand un homme glorieux revient ainsy à écouter son intérest, il paroît que l’on peut espérer quelque chose[2]. »

A Versailles, la proposition était accueillie avec méfiance également, car on connaissait le personnage. On ne voulait pas la repousser, mais on ne voulait pas, avec raison, s’engagera l’avance par des préliminaires de paix sur lesquels il serait

  1. Legrelle, t. V, p. 385.
  2. Aff. étrangères. Corresp. Angleterre, vol. 226. Le Duc de Bourgogne à Torcy, 1er novembre 1708.