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Au mois de juin suivant, les deux amis arrivaient à Varsovie.

Ramené par d’Avaray, Blacas ne pouvait n’être pas aussi bien reçu qu’il l’avait été jadis à Vérone. Louis XVIII se souvenait de lui, connaissait l’opinion qu’en avait d’Avaray et daigna lui dire :

— L’adversité n’est pas bien difficile à supporter lorsqu’on a de fidèles sujets comme vous et qu’on ne perd pas l’espoir d’employer leur zèle au service de l’Etat.

Dès ce jour, il lui accorda sa confiance. Il ne tarda pas à la lui manifester en le chargeant d’aller le représenter à Saint-Pétersbourg aux lieu et place du vieux marquis de la Ferté, qui invoquait son âge et ses fatigues pour aspirer au repos. Les quatre années durant lesquelles le comte de Blacas allait vivre à Saint-Pétersbourg devaient rendre plus éclatans aux yeux du Roi son dévouement, son tact, sa prudence et son savoir faire.

Sa situation dans cette capitale était autrement difficile que n’avait été celle de ses prédécesseurs sous le règne de Paul Ier. Jusqu’au jour où ce souverain mobile et fantasque avait chassé Louis XVIII du territoire impérial, il s’était montré prodigue de faveurs envers les représentais du Roi. L’un d’eux, le comte de Caraman, occupait le rang d’ambassadeur à la cour de Russie. Il faisait partie du corps diplomatique tout aussi bien que si son maître eût régné. Il n’en allait plus de même maintenant. Pour Alexandre Ier, pour ses ministres, Louis XVIII n’était que le comte de l’Isle. Son représentant dépourvu de tout caractère officiel ne pouvait obtenir que d’un excès de bienveillance d’être reconnu en cette qualité lorsqu’il avait à traiter des affaires personnelles du Roi, et cette bienveillance il ne pouvait se l’assurer qu’au prix d’un prodigieux et constant effort d’habileté.

En dépit de l’inexpérience qu’on doit supposer à un homme de trente-quatre ans, que sa vie antérieure n’a pas préparé à la fonction qu’il exerce, Blacas ne fut pas inférieur à sa tâche. Se recommandant déjà par son nom et son passé, par la confiance de son souverain, par l’intérêt que lui portaient tant de nobles personnages qu’il avait connus au cours de ses pérégrinations, il devait naturellement conquérir, dès sa présentation dans la société russe et dans la petite colonie des émigrés français, la considération et l’estime. Mais il les mérita en outre par la dignité de sa vie, par son esprit et sa bonne grâce. Les sentimens qu’il inspirait furent ses meilleures armes, au cours de sa