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sentir avec force combien il sera essentiel que le Roi en soit véritablement l’âme, et qu’après avoir écouté les avis de ceux qu’il voudra bien y admettre, il finisse toujours par se décider seul et sans jamais donner une confiance exclusive à personne.

« — Le Roi, m’a-t-il ajouté, a trop de connaissances de tous les genres, et trop de justesse dans ses vues, pour avoir jamais besoin d’un premier ministre. D’ailleurs, un premier ministre, ou même un homme réputé tel sans en avoir le titre, ne ferait que lui ravir une partie de sa gloire, à laquelle il a droit d’aspirer par lui-même, et qu’il ne doit partager avec personne.

« En convenant avec moi de la difficulté de bien composer ce conseil dans les circonstances actuelles, il m’a cependant désigné M. de Cazalès et M. le marquis d’Escars, comme dignes d’y avoir place : et il ne doute pas que l’un et l’autre ne se rendent à l’invitation du Roi, s’il daigne la leur faire. Il m’a aussi parlé, avec l’accent de la plus profonde estime, de M. de Thauvenay qu’il regarde comme un des plus parfaits serviteurs qu’ait aujourd’hui le Roi. Il n’hésiterait même pas à le désigner s’il n’était pas nécessaire ailleurs pour le bien général des affaires.

« Un autre homme des talens duquel M. le comte d’Avaray m’a paru faire une grande estime, et qu’il désire même que le Roi puisse appeler auprès de lui, est l’abbé de la Marre.

« — Il a peut-être, m’a-t-il dit, quelques inconvéniens de caractère, mais on les préviendra en le tenant d’une main un peu ferme. Au surplus, si le Roi ne juge pas à propos de le rapprocher de sa personne, du moins est-il à souhaiter qu’il l’emploie toujours aux affaires, parce qu’à des talens réels et à un dévouement plus réel encore, il joint une connaissance parfaite de la révolution et des principaux personnages qui y jouent aujourd’hui un rôle. Le duc de Richelieu et le marquis de Duras, m’a-t-il ajouté, sont encore deux hommes bien précieux dans un autre genre ; et il est à souhaiter que le Roi se les attache de plus en plus, parce qu’ils peuvent lui être très utiles.

« En me nommant ces différentes personnes, et en désirant par conséquent que le Roi augmente le petit nombre de serviteurs qui l’entourent aujourd’hui, M. le comte d’Avaray m’a paru craindre excessivement, que peu à peu ce nombre n’excédât les justes bornes qu’une sage politique semble lui prescrire. Sa crainte à cet égard est si grande, et lui paraît si bien motivée, qu’il n’a pas hésité de me dire que la Reine