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lui ; les visites de son frère et de ses cousins en constitueront l’unique distraction. Quant à la politique, et encore qu’il ne cesse pas d’en suivre les mouvemens et les variations, elle ne lui apportera, pendant les premières années de son séjour en Angleterre, que déceptions et sujets de découragement.

Durant cette période, Napoléon est véritablement le maître du monde. L’empereur Alexandre vit en paix avec lui ; la Prusse lui est soumise ; l’Autriche lui donne pour compagne une de ses archiduchesses ; ses frères sont assis sur les trônes où régnèrent les Bourbons ; lui-même semble indestructible sur celui qu’il occupe et d’où il dicte ses lois à l’Europe. Il faut une foi robuste pour croire que Louis XVIII recouvrera ses États. Cette foi ses partisans pour la plupart l’ont perdue. Si lui-même s’y rattache encore avec une indomptable ténacité, il ne peut méconnaître que personne ne croit plus à son retour en France et qu’aux yeux des hommes d’État qui prétendent diriger la politique européenne, il n’est plus qu’un monarque désaffecté. Il est vrai qu’ils se sont si souvent trompés que le Roi peut croire qu’ils se trompent encore. Leur conviction et l’attitude qu’elle leur dicte n’en sont pas moins bien faites pour assombrir son âme, pour inspirer à tout ce qui l’entoure un amer découragement, car c’est bien le découragement qui, de 1807 à 1811, règne dans la petite cour d’Hartwell. Il a désarmé les dévouemens fragiles, mais il rend plus méritoires ceux que n’ont pas ébranlés tant de circonstances imprévues, fatales à la cause des Bourbons.

Parmi ceux-là, il en est un qu’on retrouve à cette époque, aussi solide, aussi généreux, aussi disposé à tous les sacrifices, même celui de la vie, que lorsqu’il s’exerça pour la première fois en 1793, à l’effet d’assurer la fuite de Monsieur, Comte de Provence. C’est celui de d’Avaray. Tel il était jadis, tel il est resté. Loin de l’affaiblir, les déceptions, les revers, une maladie incurable qui s’est aggravée avec l’âge, les coups répétés du malheur semblent avoir contribué à le fortifier. Il a même résisté aux incessantes attaques que forgent sans se lasser, contre ce conseiller trop puissant à leur gré, les envieux qui voudraient l’éloigner du Roi pour délivrer celui-ci d’une influence à laquelle il ne sait pas résister. Leurs efforts qui n’ont pu ralentir le dévouement du serviteur à son maître n’ont pas davantage altéré la confiance du maître en son serviteur. Dans une querelle qui éclate entre d’Avaray et le Duc d’Angoulême sur le motif le plus futile, le