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confiance profonde qu’une croyance qui n’a en aucune manière le raisonnement pour base peut inspirer à un esprit revenu du raisonnement, il n’y a peut-être point de malheur que l’on ne pût supporter, ou qui du moins ne rût considérablement adouci.

Nous avons eu tout cet été force philosophes et poètes allemands. Leur imagination est d’une nature très particulière et qui bien saisie a beaucoup de charmes. Vous ne connaissez guère que Schlegel[1], qui de toute l’école a le moins de cette imagination.

Adieu, mon cher Prosper. En quelque lieu que ma lettre vous trouve, répondez-moi et adressez à Dôle. Car si quelque chose d’imprévu ne vient pas déranger tous mes projets, ce sera là que je la trouverai.


XV


Dôle, ce 24 décembre 1808.

Je reçois à l’instant, mon cher Prosper, votre Tableau de la littérature du XVIIIe siècle et je me hâte de vous en remercier, quoique je sois forcé d’emprunter, pour vous écrire, une main étrangère, une brûlure très considérable et très douloureuse m’empêchant de me servir de la mienne. Dès que je serai sorti de cet état d’impuissance, je m’occuperai avec un bien grand plaisir de rendre à votre ouvrage la justice qu’il mérite. Je serai heureux de saisir cette occasion de professer mon opinion sur votre caractère et sur vos talens, mais il faut que j’attende que je puisse écrire moi-même. Dites-moi cependant le plus tôt que vous pourrez si vous êtes sûr que je ne serai pas devancé dans le Publiciste. C’est le seul journal dans lequel je sois assuré de faire insérer mes articles ; et comme je ne pourrai guère travailler à celui qui vous intéresse que dans une quinzaine de jours et que je voudrais d’ailleurs le faire à Paris même où l’on dit toujours mieux ce qu’il est utile de dire, il se pourrait que

  1. Mme de Staël, fort séduite par l’universalité de connaissances, l’esprit abondant, ingénieux et clair de Guillaume de Schlegel, se l’était attaché, en 1804, sous le prétexte de lui confier la surveillance de l’éducation de ses enfans. Douze mille francs par an et la promesse d’une pension assuraient désormais l’avenir du célèbre critique. Leurs relations interrompues, sept ans plus tard, par ordre de Napoléon, se renouèrent en 1814 et durèrent jusqu’à la mort de Mme de Staël. Histoire, poésie, théâtre, langues anciennes, modernes et orientales, traductions, archéologie, littératures de toutes époques et de tout pays, trouvent place dans la volumineuse bibliographie d’Auguste-Guillaume de Schlegel, 1767-1845.