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les exécuter et de ne pouvoir m’en prendre qu’à moi, si je ne les exécute pas.

Vous ai-je mandé que j’avais fait une nouvelle tentative pour croire à quelque chose ? J’ai été me faire dire la bonne aventure par une sorcière, très renommée à Paris, et dont on raconte des anecdotes très avantageuses. Hélas ! cher Prosper, j’étais plus qu’impartial, et elle ne m’a rien dit qui pût me fournir un prétexte de supposer quelque communication entre les hommes et la nature, mais la superstition même me refuse son appui !

Cependant cette sorcière m’a intéressé à certains égards. Lorsque j’ai vu qu’il fallait désespérer d’être sa dupe, je me suis mis à l’observer. Elle est fort hôte, mais on remarquait l’étude que son intérêt lui a fait faire des passions humaines, malgré sa bêtise. Elle parle vite et en phrases très longues, avec beaucoup de mots parasites, pour lui donner le tems de rassembler des idées. Elle dit à tout le monde à peu près la même chose, mais, de tems en tems, elle jette un regard rapide et de côté, sur la figure de celui à qui elle parle (le reste du tems, elle tient les yeux baissés et a l’air d’une machine à paroles), et quand elle croit avoir remarqué l’impression qu’elle a faite, elle pèse sur cette impression avec une sorte de dextérité. Elle parle aux hommes d’argent et d’ambition, aux femmes d’amour, et j’ai conçu comment elle parvenait à faire effet. Il n’y a pas un homme qui ne croie avoir quelque ennemi caché, et pas une femme [qui ne craigne] qu’on ne lui enlève son amant. En conséquence, elle les étonne toujours en leur disant là-dessus des choses fort vagues, qui leur paraissent frappantes parce qu’elles s’appliquent plus ou moins à leur situation particulière.

J’ai un peu travaillé à Wallstein. Mon départ qui approche m’empêchera de le finir avant l’automne. Mais je crois avoir trouvé le moyen de rendre cette pièce susceptible d’être jouée, et d’en faire disparaître les défauts les plus graves.

Je compte partir dans peu de tems. Ecrivez-moi pourtant toujours ici, cher Prosper. On me renverra vos lettres. Adressez directement rue Neuve-des-Mathurins, n° 40.


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Brévant près Dôle, département du Jura, ce 9 juin 1808.

On m’a renvoyé votre lettre de Paris, mon cher Prosper. Elle