Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/263

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cité quelques vers, vraiment heureux. Lacretelle[1], en en parlant, l’a félicité de son heureuse ignorance des langues étrangères qui l’a empêché de s’égarer et d’abandonner les grands modèles. D’Alembert écrivait il y a quarante ans : « La première condition pour un homme de lettres, c’est d’avoir le courage d’ignorer beaucoup de choses. » Je ne sais pas si c’est la première, mais c’est certainement la mieux observée.

J’ai lu votre discours, et j’ai dit même aux membres de l’Institut qu’il y avait plus de choses dans une de vos pages que dans les quatre discours qu’ils ont couronnés. C’est bien véritablement mon opinion. Il y a dans votre scepticisme plus de

  1. Sans doute, Lacretelle jeune.
    Les deux frères, Pierre-Louis (1751-1824) et Jean-Charles-Dominique (1766-1855), jouissaient alors d’une situation importante dans les milieux littéraires et dans la société. L’ainé, ami et collaborateur des encyclopédistes, bon jurisconsulte, fort protégé de Malesherbes, siégeait à l’Assemblée législative parmi les Feuillans et son rôle n’y fut pas inaperçu. La politique, le droit, la philosophie, l’économie sociale inspirèrent surtout ses écrits où, cependant, la littérature a tenu une certaine place.
    L’œuvre littéraire de son frère a été plus considérable, mais il est surtout l’historien des événemens écoulés en France pendant le XVIIIe siècle, la Révolution, l’Empire et la Restauration. Un véritable talent oratoire signala, de 1809 à 1848, son cours d’histoire à la Faculté des lettres. Lacretelle jeune fut, pendant la Révolution, un des plus courageux écrivains de la presse constitutionnelle modérée et il en courut, sous la Terreur comme au 18 fructidor, les périlleuses conséquences. Membre du bureau de la Presse en 1800, censeur impérial en 1810, membre de l’Académie française en 1811, il ne se vit pas moins favorisé par le gouvernement de la Restauration ; mais, en 1827, il se rangea parmi les adversaires de sa politique. L’Institut, la Sorbonne, les hommages de la nouvelle élite littéraire occupèrent seuls ses dernières années.