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est un peu désœuvrée. Les hommages des Russes[1]lui paraissent légers, après des hommages plus sincères et plus assidus qui lui ont été offerts cet été[2]. Toute légère qu’est sa vie, elle lui pèse sur les bras, et elle voudrait la déposer quelque part. Je ne crois pas qu’elle y parvienne. Les honneurs pleuvent sur Regnault[3]. Il est toujours ce qu’il était, c’est-à-dire selon moi, et pour ses amis, un excellent homme. Je l’ai entendu défendre le docteur Gall, sous le rapport de la liberté d’exposer ses opinions, et de l’utilité de tous les systèmes comme moyen d’activité pour l’esprit, et d’acheminement aux découvertes avec une raison parfaite, qui, dans ce moment-là, n’était pas sans courage. Tout va du reste comme bien vous savez. La création de la nouvelle noblesse n’a pas encore dans la société un effet bien sensible. Mais quoi qu’on en dise, avec le tems et en assez peu de tems, cette noblesse effacera les souvenirs de l’autre. Les pères ne seront que riches, parce qu’on les enrichit aujourd’hui. Mais demain les enfans seront riches et bien élevés ; je ne parle que de l’éducation telle qu’on nous la fait aujourd’hui. Ces enfans auront des formes polies, et je ne vois pas alors la différence qu’il y aura entre eux et leurs prédécesseurs dépossédés. Il en est, au reste, de cette nouvelle institution comme de toutes les institutions qu’on crée dans ce siècle. On fait des plaisanteries et l’on pense à part soi au moyen de s’y faire recevoir.

Adieu, mon cher Prosper. Ecrivez-moi, je suis ici encore pour deux mois. Je serai si vous le voulez, un correspondant bien exact. Il est impossible d’être un ami plus attaché.

  1. Le prince Gagarine était alors fort assidu auprès de Mme Récamier.
  2. Le prince Auguste de Prusse, neveu du grand Frédéric, éperdument amoureux de Mme Récamier, lui avait offert de l’épouser, ce que permettait l’annulation possible de son mariage avec M. Récamier ; la lettre digne, paternelle et tendre par laquelle celui-ci déclara ne pas s’y opposer, décida Mme Récamier à rester fidèle à l’ancien compagnon de sa vie, maintenant vieilli et appauvri,
  3. Michel-Louis-Étienne Regnault de Saint-Jean-d’Angély. déjà conseiller d’État, et président de la section de l’Intérieur, procureur général de la Haute-Cour impériale, grand officier de la Légion d’honneur, venait d’être nommé, en 1807, secrétaire d’État de la famille impériale et, en 1808, comte de l’Empire.