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Vous sentez comme votre discours[1]a irrité au milieu d’une pareille disposition. On vous a trouvé très irrévérencieux et surtout n’ayant pas, c’est le grand mot, de direction fixe. Ce qu’on exige, c’est qu’un auteur attaque ou défende. Malheur à celui qui ne veut que juger !

Ce qu’il y a de comique ici, c’est le docteur Gall[2]. C’est un homme de beaucoup d’esprit, d’une instruction extrême, et d’une grande sagacité d’observation. Il est tout étonné de la nation au milieu de laquelle il s’est fourré. Cette inattention, ces objections qui ne portent jamais que sur les conséquences de sa doctrine, au lieu de porter sur sa vérité, cette rapidité avec laquelle on le condamne sans l’entendre et en lui disant qu’on le devine, parce que les Français ont éminemment de la prestesse d’esprit, le jettent dans une surprise perpétuelle. Je n’adopte pas tout son système, quoiqu’il ne me paraisse pas plus incroyable que la nature ait placé dans le cerveau le nerf qui répond à l’organe de la sensibilité ou de la mémoire que celui qui répond au sens de la vue ou de l’ouïe ; mais je me divertis beaucoup à ma manière, c’est-à-dire par la contemplation de l’absurdité, en voyant comment on l’attaque et comment on croit le juger.

Je vous le dis, mon cher Prosper, vous êtes prévenu en faveur des gens que vous croyez nos compatriotes et ce que vous avez vu des étrangers vous a confirmé dans cette prévention. Je conviens que les étrangers ne sont guères estimables, mais ce sont des êtres naturels, même dans ce qu’ils ont de mauvais. Nous sommes des êtres factices, même dans ce que nous avons de bon. La Chine ! la Chine ! Nous y tendons, nous y marchons à grands pas. De l’argent, et des cérémonies, et des formes, voilà ce qui nous reste. Du courage, voilà ce qui nous distingue, mais la mort a passé par là. Il n’y a plus rien de naturel en nous, et je n’aperçois pas même de quoi nous recomposer, quoi qu’il arrive.

Je voudrais bien aller vous voir. Je conçois votre repos et je l’envie. Mais j’ai fait toujours ce que je ne voulais pas, je n’ai

  1. Tableau de la littérature française au XVIIIe siècle. On sait avec quelle sévérité l’Académie accueillit ce travail destiné au concours de 1808. Elle ne pardonna pas au jeune auteur l’indépendance de ses jugemens sur un siècle dont les héritiers et les derniers représentans régnaient encore à l’Institut.
  2. François-Joseph Gall (1758-1828).