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A. M.[1]. Dites-moi si vous n’en connaissez pas l’auteur et s’il n’a pas changé de lettre initiale. Il a, sauf son respect, fait une sottise de choisir un M ; car j’ai été sur le point de sauter l’article comme étant de Mlle de Meulan. Cependant il est impossible que ces deux articles soient d’elle.

Quelqu’un de nos amis a-t-il des nouvelles de Villers[2] ? Il m’avait dit de lui écrire ; mais je n’ai pu me résoudre à causer avec lui à travers les armées russe, autrichienne et française. Probablement il aura écrit à Hochet, ou au moins Hochet saura ce qu’il fait, où il est, et s’il revient bientôt à Paris, chargé de Mme Rodde.

Il faut longtemps pour que ma lettre vous parvienne, car je l’envoie à notre amie parce que je ne sais pas votre adresse, et

  1. M. de Barante signait, de ces deux lettres A. M., les études littéraires qu’il écrivait, de temps à autre, dans le Publiciste. Les deux articles dont parle ici M. Benjamin Constant faisaient partie d’une série de feuilletons sur Dancourt et les mœurs du règne de Louis XIV, publiés les 25 et 30 avril, 7 et 10 mai 1806.
  2. Il est peu de sujets que n’ait abordés Charles de Villers, lieutenant à Toul. Au sortir de l’école d’artillerie de Metz, 1783, il compose des romans scientifiques, des comédies, des tragédies, puis, de 1789 à 1791, quatre écrits politiques. Émigré en 1792, il parcourt, après la dispersion de l’armée de Condé, l’Allemagne dont il étudie la langue, les monumens, les mœurs et s’inscrit à l’Université de Gœttingue. Il y fait la connaissance de Dorothée Schlœger, fille de l’historien, première femme qui sut conquérir le grade de docteur en philosophie sans dédaigner pour cela ni la musique ni la danse. Bientôt, elle épouse M. de Rodde, sénateur de Lubeck, où Villers la suit et ne se sépare plus désormais de ce ménage. C’est la liaison de Gœthe avec Mme de Stein, qu’il renouvelle avec Mme de Rodde dont l’influence achève de le germaniser.
    Faire connaître à la France les richesses littéraires, philosophiques et morales de l’Allemagne devient le but de son activité qui s’emploie en toute sorte de publications. En 1801, parait son œuvre principale : Philosophie de Kant ou principes fondamentaux de la philosophie transcendantale, dont le succès engage le Premier Consul à s’en faire rédiger un résumé. L’Essai sur l’esprit et l’influence de la Réforme lui vaut le premier prix de l’Institut de France. Charles de Villers repart, en 1805, pour l’Allemagne après trois ans de séjour à Paris. Les événemens se précipitent. Sa patrie d’adoption est envahie par son autre patrie, qui, quelques années plus tard, se voit elle-même refoulée par les vaincus de la veille, et successivement il s’entremet au bénéfice des uns et des autres. De 1811 à 1813, il traverse, non sans quelques accès de nostalgie de son pays natal, il est vrai, une période heureuse de succès et de popularité, il est professeur de littérature française à l’Université de Gœttingue que ses relations avec le roi Jérôme a préservée d’une annexion à l’Université française. Mais cette même faveur amène sa révocation au retour de l’ancien gouvernement du Hanovre. On lui accorde, toutefois, une pension, et il demeure à Gœttingue, avec les de Rodde qui, ruinés par le blocus continental, s’étaient réfugiés auprès de lui. Charles de Villers mourut le 26 février 1816. M. Ernest Seillière en a publié une biographie très complète dans la Revue de Paris d’octobre 1898, et M. Paul Gautier, plus récemment, a ici même apprécié son rôle d’intermédiaire entre la philosophie allemande et la pensée française. Voyez dans la Revue du 1" mars 1906, Un idéologue sous le Consulat et le Premier Empire.