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semblait épuisée : il a dit des choses qui n’avaient pas été dites et qui devaient l’être. La parfaite connaissance qu’il a des écrits socialistes lui a permis de citer à M. Jaurès ses propres auteurs, soit pour rectifier, soit pour compléter sa pensée. Il a invoqué Kautsky ; il a invoqué Bernstein ; mais ce sont gens que la Chambre ne connaît guère et qui, dès lors, ne font pas par eux-mêmes autorité auprès d’elle. La partie de son très éloquent discours qui a produit le plus d’impression est celle où M. Deschanel, mettant directement en cause la thèse de M. Jaurès, a montré que le collectivisme ainsi compris et appliqué ralentirait l’activité humaine et ferait rétrograder la civilisation. Oui, a-t-il dit, l’idée socialiste est contraire à la civilisation, parce que si les capitaux ne rapportent plus rien, on ne prendra plus la peine de les créer. Au reste, nous avons largement emprunté à M. Deschanel dans les objections que nous avons faites à M. Jaurès. Sa conclusion sera aussi la nôtre, au moins à titre provisoire, puisque nous ne connaissons encore que par des développemens oratoires la pensée de l’orateur socialiste. « Tant qu’on ne nous aura pas apporté des textes précis, a déclaré M. Deschanel, nous serons en droit de dire que ce n’est pas des amendemens à la législation sociale qu’il faudra proposer, mais des amendemens à la nature humaine, car c’est l’homme même qu’il faudrait changer pour qu’un tel système pût réussir. » Qu’on ne croie pas que cela embarrasse M. Jaurès : c’est bien l’homme même qu’il se propose changer. Il en est resté à l’idée de Rousseau que l’homme actuel est le produit déformé de la société et des lois. Rendez-le à la nature, c’est-à-dire au socialisme : il sera méconnaissable.

Est-ce à dire que nous soyons d’accord avec M. Clemenceau et avec M. Deschanel sur tous les points ? Avec eux, de même qu’avec M. Jaurès, nous avons des réserves à faire, parce qu’ils nous promettent comme lui des projets que nous ne connaissons pas encore. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que M. Deschanel annonce une nouvelle organisation du contrat collectif de travail, qu’il rattache aujourd’hui à un large développement du système syndical. M. Clemenceau aussi, la déclaration ministérielle aussi parlent, d’une manière malheureusement mystérieuse mais singulièrement alléchante, d’un contrat collectif du travail où le droit des minorités sera scrupuleusement respecté. Comment cela se fera-t-il ? Nous avons peine à le comprendre. M. Millerand a bien déposé des projets de loi pour le même objet ; seulement le droit de la minorité y est absorbé dans celui de la majorité, c’est-à-dire supprimé. Au moins cela est clair, mais ne peut