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intempestive. Le sentiment de réprobation qui s’est répandu dans la majorité s’est d’ailleurs doublé d’un sentiment de révolte déjà ancien, mais qui n’avait pas encore pu se manifester, contre la domination du parti collectiviste dans les deux dernières Chambres. La dictature de M. Jaurès a été lourde ; on en a assez ; on n’en veut plus. C’est ce qui a fait, en dehors même de leur talent, le succès immédiat des orateurs qui ont pris la parole après M. Jaurès, et dont l’un au moins, M. Clemenceau, l’a traité fort irrévérencieusement. La Chambre a paru en éprouver une sorte de joie.

Le discours de M. Biétry a été comme un coup de bélier dans l’édifice socialiste. M. Biétry est un ancien révolutionnaire, aujourd’hui converti à des idées plus sages. Sorti du prolétariat, il en connaît les besoins, et aussi les passions. La part considérable et finalement prépondérante qu’il a prise depuis quelques années à la création des syndicats jaunes, destinés à faire contrepoids aux syndicats rouges, l’a rendu odieux à tout le monde qui gravite autour de ces derniers ; mais il ne s’est laissé ni intimider, ni arrêter ; il a poursuivi son œuvre avec une ténacité remarquable, et avec une efficacité dont il a apporté le témoignage à la tribune. Les syndicats jaunes, en effet, bien qu’ils ne jouissent d’aucune des subventions que les Bourses du travail réservent aux rouges, comprennent un plus grand nombre d’ouvriers que ces derniers. M. Biétry l’a assuré en produisant des chiffres, et on peut regarder l’affirmation comme exacte, car elle n’a pas pu être contestée. Ajoutons d’ailleurs qu’il y a encore un bien plus grand nombre d’ouvriers qui préfèrent rester en dehors de tous les syndicats, quelle que soit leur couleur. L’élection de M. Biétry a été un des incidens les plus significatifs des élections dernières : il avait pour concurrent M. Goude, cet ouvrier de l’arsenal qui a longtemps fomenté à Brest toutes les agitations révolutionnaires et qui, devenu adjoint au maire, a été tout-puissant pendant le proconsulat de M. Pelletan. Les choses ont changé sous le ministère de M. Thomson. L’intervention de M. Biétry à la tribune empruntait à cet ensemble de circonstances un intérêt particulier, qui a été encore accru par les clameurs sous lesquelles l’extrême gauche collectiviste a essayé d’étouffer sa voix. Mais M. Biétry a de la défense. L’impression produite par son vigoureux discours a été vive : elle aurait été plus durable si M. Clemenceau ne lui avait pas succédé.

M. Clemenceau, dans ces derniers temps, a parlé plusieurs fois à la tribune du Luxembourg, mais il n’avait pas reparu à celle du Palais-Bourbon depuis une douzaine d’années. Peut-être a-t-il trouvé