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l’affaire au point de vue du duc de Rohan, le Roi donna immédiatement la parole au rapporteur. Le maître des requêtes choisi pour exercer ces fonctions difficiles était Courson, le fils de l’intendant Bâville ; c’était la première fois qu’il parlait devant le Roi. Il garda la parole deux heures et s’exprima avec beaucoup de clarté, d’élégance et de précision. La conclusion, qui surprit tout le monde, fut entièrement en faveur du duc de Rohan[1]. La délibération s’ouvrit ensuite ; chacun prenait la parole suivant son rang en commençant par le juge du rang le moins élevé, suivant une habitude respectueuse de l’indépendance du juge qui ne date point, comme on le croirait, de nos jours. Quand vint le tour de Daguesseau, comme on le savait timide, s’exprimant avec hésitation, et comme son opinion semblait toujours « mourante sur ses lèvres, » on crut, dans le Conseil, qu’il éviterait peut-être de donner son opinion d’une façon formelle. Il n’en fut rien. Au contraire il parla cinq quarts d’heure, avec beaucoup de force et d’éloquence en faveur du duc de Rohan, et, dans une péroraison éloquente, il adjura le Roi de ne pas laisser révoquer en doute l’autorité des stipulations d’un contrat de mariage au bas duquel la Reine sa mère avait apposé sa signature, donnant ainsi une force particulière aux moindres stipulations de ce contrat. L’éloquence de Daguesseau entraîna le vote de Chamillart qui, abandonnant la cause de la princesse de Soubise, opina en faveur du duc de Rohan ; mais d’autres juges opinèrent en faveur de la princesse. Le duc de Rohan ne l’emportait que de deux voix au moment où le Chancelier, qui était le dernier des ministres à entendre, prit la parole. Après lui ne devait parler que le Duc de Bourgogne. Du sens dans lequel le Duc de Bourgogne se prononcerait pouvait dépendre l’arrêt. Aussi le Chancelier, grand ami de Mme de Soubise, s’appliqua-t-il dans son discours moins à faire valoir les argumens en faveur des Rohan qu’à mettre le Duc de Bourgogne dans l’embarras, en lui poussant directement des bottes et en réfutant ce qu’il pourrait dire. Sans doute, il espérait ainsi ou emporter la conviction du jeune prince, ou tout au moins mettre sa timidité à l’épreuve d’avoir à lui répliquer. Son calcul fut déjoué.

  1. Nous suivons le récit de Saint-Simon. Cependant d’après une lettre du Chancelier citée par M. de Boislisle en note de son tome XIV, p. 157, l’avis de Courson n’aurait pas été suivi dans la décision qui fut, comme on va voir, en faveur du duc de Rohan, d’où il faudrait conclure que l’avis de Courson ne fut pas, comme le dit Saint-Simon, « entièrement en faveur du duc de Rohan. »