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sur l’esprit du Roi, crédit qu’elle faisait servir sans relâche à l’élévation et à la fortune de sa maison. Il n’était presque pas d’année qui ne fût signalée par quelque faveur ou par quelque don d’argent accordés à son mari ou à ses enfans. Entre autres elle avait obtenu en 1701 pour le bel abbé de Soubise la coadjutorerie de Strasbourg. Depuis quelques années, retenue par la maladie, elle paraissait peu à la Cour mais elle était demeurée en correspondance avec le Roi auquel elle écrivit encore la veille de sa mort. Quand elle venait à Versailles, le Roi lui accordait fréquemment des audiences privées dans son cabinet, mais en ayant soin de laisser les portes ouvertes, habitude qu’il n’avait point quand il recevait d’autres dames et précaution qu’il prenait pour éviter la médisance, sans se rendre compte que par là il l’entretenait ou du moins la ravivait. Son autorité sur l’esprit du Roi continuait à s’affirmer. On savait qu’il n’était point de grâce qu’elle n’obtînt. Aussi, quand on la vit prendre ouvertement parti contre son propre frère, avec lequel elle avait toujours fort mal vécu, et se prononcer en faveur de ses cousins et neveux, les amis du duc de Rohan commencèrent à craindre que les choses ne prissent pour lui une mauvaise tournure.

Par l’intervention des Soubise se joignant aux Guéménée et aux Montbazon, ce procès devenait celui des Rohan contre les Rohan-Chabot. Le gros des courtisans se montrait plus favorables au duc de Rohan qu’aux Rohan, ceux-ci ayant eu la maladresse, dans les mémoires qu’ils avaient fait imprimer, de prétendre « s’élever au-dessus de toute noblesse, en princes qui étoient d’une classe hors du niveau, » et ce à raison de l’ancienneté de la maison de Rohan qu’ils prétendaient tirer d’un certain Conan Mériadec, « prétendu roi de Bretagne, continue Saint-Simon, qui n’exista jamais[1]. » Il n’en fallut pas davantage pour que les représentans des grandes familles françaises prissent fait et cause pour le duc de Rohan, bien que celui-ci fût personnellement peu aimé. Informé du bruit que faisait l’affaire, le Roi, après s’en être défendu longtemps, prit, à la sollicitation des parties en cause des deux côtés, une grande décision, qui n’avait cependant rien de contraire aux usages du temps : ce fut d’évoquer l’affaire devant lui. Mais au lieu de la faire venir devant le Conseil d’en Haut, qui était généralement appelé à juger les

  1. Saint-Simon. Édition Boislisle, t. XIV, p. 110.