Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/217

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

formaient, probablement, le point de départ d’un chemin royal, bordé de sphinx et conduisant au Nil en face du temple de Louqsor. Chacune d’elles, haute de 15m, 60, taillée dans un bloc monolithe d’une roche diaprée de gris, d’ocre jaune brillant comme l’or et de rouge foncé[1], pèse environ 800 000 kilogrammes et repose sur un immense piédestal formé également d’un seul bloc de la même matière. L’aspect de ces colosses a quelque chose d’imposant, et l’esprit un peu déconcerté cherche à se rendre compte par quels moyens, seize siècles avant notre ère, à une époque où les arts mécaniques étaient encore dans l’enfance, on a pu’ transporter et mettre en place des matériaux aussi considérables.

De pareilles masses ne sont point d’un maniement facile ; leur transport offrant de grandes difficultés, les Egyptiens ne se décidaient à les mettre en mouvement qu’après les avoir rendues le moins lourdes possible et réduites à leur plus simple expression, comme poids et comme volume. Aucun de ces monolithes n’était donc sculpté à sa place définitive, mais taillé, fini, parachevé sur carrière ; et ce n’est qu’une fois le travail de sculpture terminé, alors qu’il ne restait plus le moindre morceau de pierre à enlever, qu’on amenait le colosse à destination. Pour cela, on le plaçait d’abord sur des madriers graissés ; puis, au moyen de câbles, il était, à force de bras, traîné par un grand nombre d’individus disposés sur plusieurs rangs.

Sous la XIIe dynastie, le transport d’un colosse paraissait une œuvre si extraordinaire, qu’un nommé Kaï, nomarque de l’Heptanomide, ayant dirigé une semblable entreprise, voulut en perpétuer le souvenir jusqu’à la postérité la plus lointaine et fit reproduire cette scène sur l’une des parois de son tombeau[2]où elle est accompagnée d’une inscription expliquant les divers épisodes de ce genre de travail.

« Le chemin par où devait passer cette statue, dit le texte, était impraticable par suite de la quantité d’hommes qu’exigeait la traction de ce monolithe d’un volume énorme. Pour mettre la voie en état, j’envoyai des compagnies de jeunes recrues, accompagnées d’ouvriers de toute sorte que dirigeaient leurs maîtres, avec mission de transporter cette statue.

  1. Il est reconnu que cette pierre est une brèche agatifère.
  2. Il est situé dans les grottes de Berscheh, au sud-est d’Antinoé, non loin de Rhodah.