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et à la seule condition de s’abandonner à l’intensité de ses sensations et d’une puissance imaginative qui en tire ses meilleures richesses. Il le serait toujours, s’il se contentait d’écrire comme un conteur et comme un poète. Nous en trouvons la preuve dans ses courtes nouvelles, d’une perfection admirable[1], et dans les meilleurs passages de ses romans, ceux où il nous révèle le tragique de la vie, la beauté de la nature, ceux surtout où les deux élémens se pénètrent et se confondent. Car l’homme et le monde ont rassemblé leurs richesses, sous les yeux du romancier, dans les limites d’une contrée familière où il est né, où il a vécu, observé, rêvé. Il en connaît le passé aussi bien que le présent ; il utilise le travail des siècles qui ont façonné les physionomies et les âmes et mêlé leurs souvenirs aux décors des paysages. Son œuvre emprunte à cette communion avec le réel une précision, une intensité, une profondeur qui lui donnent la vérité d’un document et la poésie d’une création de l’art. Elle ajoute à la force qu’elle reçoit du génie de l’auteur celle que ses racines puisent dans le sol. Toute la vie d’un coin de terre s’y absorbe et s’y concentre comme dans un miroir qui nous en rend les aspects particuliers et le sens universel. Et c’est pourquoi il ne nous semble pas téméraire d’avancer que les « Romans du Wessex, » à la fois si pittoresques et si humains, si poignans et si vrais, assurent à M. Thomas Hardy une place qui ne saurait lui être disputée par aucun des romanciers de son pays.


FIRMIN ROZ.

  1. Voyez notamment : The Three Strangers et The Distracted Preacher dans les « Wessex Tales » et tout le volume intitulé : Life’s Little Ironies.