Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/176

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

musulmans indous ou égyptiens ; elle a mis à profit les rivalités, payé les révoltes, suscité des compétiteurs aux chefs dévoués à la Porte ; elle a appliqué les procédés qui lui ont servi à conquérir les Indes. Autour d’Aden, un large territoire a été annexé ; des traités passés avec les tribus de l’intérieur, avec les petits cheikhs de la côte font de l’Angleterre la véritable maîtresse du Hadramaout et de l’Yémen ; elle étudie un chemin de fer d’Aden à Sanâa ; c’est à Aden que Mahmoud-Yahia et ses partisans ont pu se procurer les armes grâce auxquelles ils tiennent en échec le maréchal Feizi-pacha. L’iman de Mascate, le principal souverain de l’Oman, a accepté le protectorat britannique, et la sentence arbitrale du tribunal de la Haye dans l’affaire dite « des boutriers protégés français » a écarté définitivement notre influence, la seule qui aurait pu rivaliser avec celle de la Grande-Bretagne. Quant aux côtes du golfe Persique, elles sont de fait une dépendance de l’Empire des Indes : en exclure toute concurrence, en faire un lac britannique, a été la grande préoccupation, l’œuvre capitale de la vice-royauté de lord Curzon ; on n’a pas oublié sa croisière triomphale autour du golfe et la résolution avec laquelle il a su éloigner l’influence russe des côtes de Perse et devancer l’action allemande à Koweït. Le protectorat britannique est établi sur les îles Bahreïn qui sont devenues une sorte d’entrepôt d’où les importations anglaises s’enfoncent dans l’intérieur de l’Arabie ; c’est par les ports du golfe Persique que les riz de Birmanie, les étoffes et la métallurgie anglaises pénètrent jusqu’au cœur du Nedjed et dans les oasis du désert de Syrie. Les deux tiers du commerce de la péninsule, la plus grande partie de la navigation côtière appartiennent à des maisons anglaises[1]. Ainsi, depuis l’Egypte jusqu’à Singapour, sur toutes les côtes de l’océan Indien, l’Angleterre règne, L’énorme masse arabe qui séparait son empire méditerranéen de son empire des Indes, est en voie de passer, sinon sous sa domination, du moins sous son contrôle. On comprend dès lors pourquoi elle surveille si jalousement toutes les influences rivales qui, entre le Nil et l’Euphrate, entre la Mer-Rouge et la mer des Indes, viendraient contrecarrer sa politique et faire obstacle à son omnipotence. Tant que, dans ces régions, elle

  1. Une compagnie allemande, la Hamburg-Amerika, vient de créer un service, de bateaux dans le golfe Persique où ne pénétrait jusqu’à présent, en dehors des bateaux anglais, qu’une compagnie russe.