Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 34.djvu/175

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en travers de sa route impériale, l’Angleterre aujourd’hui croit découvrir la main de l’Allemagne, comme elle y voyait, naguère encore, une intrigue russe ou une manœuvre française. La Grande-Bretagne et, avec elle, l’Europe entière ont été persuadées que, derrière un conflit turco-égyptien, devait nécessairement se dissimuler un épisode de la rivalité anglo-allemande, un combat d’avant-garde précurseur de l’âpre lutte d’influence qui mettra aux prises les deux grands empires européens sur les ruines de l’Empire turc ; c’est ce qui a prêté un instant à cette simple affaire de Tabah une physionomie dramatique et un caractère inquiétant.. L’Europe troublée, nerveuse, à peine remise des émotions de Mandchourie et d’Algésiras, a cru sentir se lever le vent des grands orages et monter sur l’horizon le signe des tempêtes prochaines.

Toujours préoccupée d’assurer, pour toutes les éventualités de l’avenir, la sécurité de l’Inde et des routes qui y conduisent, l’Angleterre porte toute son attention du côté de l’Arabie ; elle a conjuré pour longtemps, grâce à l’épée du Japon, le fameux péril cosaque qu’elle croyait toujours prêt à fondre, du haut des Pamirs, sur l’Indus et le Gange ; c’est maintenant la poussée allemande vers les routes de l’Inde, c’est la politique musulmane de Guillaume II qui la préoccupent, et c’est pourquoi l’Arabie devient l’objet de ses plus urgens soucis. La péninsule arabique, encore si mal connue des Européens et restée si impénétrable à leurs explorations, est entrée dans le jeu de la politique universelle ; sa masse mystérieuse s’interpose, comme un écran très opaque, entre l’Egypte, que les Anglais occupent, et l’Inde qu’ils possèdent, entre la Mer-Rouge, qu’ils contrôlent par Aden, Périm et les ports égyptiens, et le golfe Persique, dont lord Gurzon a fait une dépendance de l’Empire des Indes. La puissance qui dominerait en Arabie, qui mettrait la paix parmi les émirs et les sultans qui s’y disputent des souverainetés éphémères, commanderait les deux grandes routes de l’Inde : l’une, celle qui passe par le canal de Suez et la Mer-Rouge ; l’autre la route de terre, qui d’Asie Mineure ou de Syrie descend, à travers les riches plaines de la Mésopotamie, vers le golfe Persique et que suivra le chemin de fer de Bagdad. C’est le rôle qu’en ces dernières années l’Angleterre a cherché à prendre ; de tous les côtés à la fois elle a entamé l’Arabie. Les Indes, Aden, l’Egypte lui ont servi de bases d’opérations pour sa politique de pénétration et d’influence ; elle a utilisé les services des