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l’occupation de Tabah par les troupes ottomanes, le résultat d’un conseil ou d’un encouragement venu de Berlin ; la politique du Sultan est, d’ordinaire, moins hardie en ses initiatives : pour quelle ait osé prendre la responsabilité de heurter directement une puissance comme l’Angleterre, il faut qu’elle se soit sentie appuyée par quelque haute protection. Ainsi raisonnait-on, et les argumens ne manquaient pas à l’appui de telles hypothèses ; l’on rappelait les efforts de la politique allemande, en ces dernières années, pour se créer une clientèle politique, commerciale et religieuse dans toute l’étendue du monde musulman, les voyages de l’Empereur à Constantinople et à Jérusalem, l’entreprise du chemin de fer de Bagdad et tant d’autres, où sont engagés les capitaux allemands. Les incidens de Koweit avaient naguère mis en présence les diplomaties allemande et anglaise et l’on était fondé à supposer que l’inspiration qui poussait les Turcs à Tabah, au débouché du chemin de fer de Damas à la Mecque sur la Mer-Rouge, pouvait être la même qui avait ouvertement appuyé les prétentions de la Porte à Koweit, au débouché du chemin de fer de Bagdad sur le golfe Persique. L’activité de la politique allemande dans l’empire ottoman était de nature à autoriser toutes ces hypothèses, à donner du crédit à tous ces bruits. Il n’est plus besoin de répéter que l’Allemagne, en quête de débouchés pour son commerce et de champs d’épandage pour le trop-plein de sa population, a choisi l’Asie turque pour y appliquer ses méthodes de pénétration pacifique et de colonisation sans occupation. Sauvegarder l’intégrité de l’empire ottoman et profiter de sa faiblesse pour se substituer peu à peu à lui et jouir de l’usufruit des domaines encore immenses qui lui restent en Europe et surtout en Asie, protéger le trône du Sultan pour cheminer sous le couvert de son autorité et absorber peu à peu les forces vives de l’empire, tel apparaît le programme de la politique allemande en Orient. Partout où s’étend l’Islam, tout au moins sur tout le pourtour de la Méditerranée, au Maroc, en Tripolitaine, en Égypte, dans l’Asie turque, on croit saisir la trace d’un dessein allemand d’expansion et de pénétration économique ; le panislamisme sert de véhicule au germanisme.

Comment s’étonner après cela de l’émotion provoquée dans la presse et dans l’opinion britanniques par l’annonce de l’occupation de Tabah par les Turcs ? Dans chaque incident qui surgit