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II

Jamais les turcs n’ont dominé effectivement toute la péninsule arabique : la race de rudes et fiers pasteurs dont les aïeux, jadis, coururent d’un seul élan jusqu’en Poitou et jusqu’en Perse, s’est retranchée, à l’abri de ses déserts, dans un particularisme irréductible ; elle a toujours réussi à sauvegarder la pureté de son sang et l’indépendance de ses tribus. Cependant, au cours de ces trente dernières années, par politique plus encore que par force, tantôt soudoyant les rivalités des clans, tantôt semant la discorde dans les familles régnantes, tantôt exploitant les dissidences religieuses, les valis ottomans, — et surtout Midhat-pacha pendant son gouvernement de Bagdad — avaient réussi à introniser, à la tête de chacune des principales agglomérations arabes des hommes dévoués au Sultan et disposés à accepter, au moins nominalement, sa suzeraineté ; ils leur prodiguaient les titres, les décorations et les honneurs, et prenaient soin de les pourvoir de belles esclaves circassiennes directement exportées du harem même du Sultan ; ainsi, peu à peu, ils parvenaient, tant bien que mal, à plier ces fiers émirs à la discipline des fonctionnaires turcs. Le principal effort des agens de Constantinople portait sur le Hedjaz, où l’on révère les villes saintes de l’Islam et qui a toujours été un foyer d’influence et un noyau de centralisation, et sur l’Yémen, la plus riche partie de l’Arabie, la mieux cultivée et la plus peuplée. Les intrigues de la faction turque et l’argent de Yildiz-Kiosk faisaient et défaisaient, au gré du maître, le grand chérif de la Mecque. Sanâa, ville principale du Yémen, était devenue le siège d’un corps d’armée turc, le 7e, dont la présence attestait l’autorité réelle du Sultan dans l’Arabie méridionale. Ainsi la pénétration turque faisait lentement son œuvre, et Abdul-Hamid voyait venir l’heure où il pourrait se flatter d’avoir regagné en Asie ce que la guerre de 1878 avait fait perdre à son empire en Europe et d’avoir définitivement attaché à son service la forte et belliqueuse race des Arabes. Il espérait, grâce à cette source nouvelle et inépuisable de recrutement, augmenter le nombre de ses troupes et balancer, à l’aide des ressources de l’Asie, l’effort hostile des nationalités balkaniques.

Mais ces succès devaient rester sans lendemain, une nouvelle