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« Plût à Dieu que du duc de Milan mon oncle je pusse avoir l’aide que déjà j’eus une autre fois ; alors, je vous pourrais démontrer, non par des paroles, mais par des faits, où est l’obstination aveugle, et où la vraie valeur. Si, après avoir refusé toute condition ignominieuse, toute faiblesse indigne du nom de Sforza, je suis brisée par vous, sachez bien, et qu’avec vous le monde le sache, qu’unie de cœur à tous ceux qui sont céans avec moi, je me conforterai en pensant que le nom de qui meurt au champ de bataille n’est oublié jamais, et que souvent encore sa cause revit et triomphe[1]. »

C’est comme le refrain de la chanson épique, de la chanson de geste que la comtesse de Forli est en train, non de chanter, mais de vivre dans le sang et dans les larmes ; « Je suis fille d’un homme qui ne connut jamais la peur. » Mais tout le monde n’est pas fils d’un pareil homme ; et la peur, qui n’est point en elle, est partout autour d’elle : la peur, infailliblement mère de la trahison. La défection bavarde et chicanière des Numai se change en défection brutale, muette, panique, mécanique. Ni l’astuce ni la vaillance n’empêcheront la catastrophe, à peine la retarderont-elles : le renard et la lionne, qui sont en Catherine, et dont ni les tours ni le cœur ne lui font défaut jusqu’au bout, iront du même coup se prendre au même piège. Inutilement elle essaiera de s’emparer de César, en l’attirant par cette courtoisie, par cette galanterie qu’il affecte, en l’invitant, pour lui parler de plus près, à mettre le pied sur le pont-levis subitement relevé. C’est le duc qui, à la fin, la fera traîner à lui, hors de cette rocca où elle avait vécu tant de dures journées, loin de son Paradiso où elle s’était ménagé quelques joies, au bas de ce maschio dont elle s’était fait comme une aire. Il l’a, à la fin, — et c’est bien la fin, — il la tient, livrée peut-être par ce Giovanni da Casale, qui passait un peu pour être ou avoir été son amant. La domination des Riari s’écroule dans la désaffection générale, dans l’indifférence pire que la désaffection : « Maintenant que les Sforzeschi sont tout écrasés, sit nomen Domini benedictum ![2] » Ah ! le beau César, le gonfalonier de l’Eglise qui porte sur son écu les lis

  1. Pasolini, ouv. cité, 178-180, d’après Burriel, III, 770-773. Le comte Pasolini remarque que « le dialogue est refait dans la forme, » mais que Burriel, qui écrivait à la fin du XVIIIe siècle, a eu sous les yeux les pièces d’un archivio Riario qu’il n’a pas été possible de retrouver ou du moins d’identifier sûrement depuis lors.
  2. Mot de Pierre Saverges, évêque de Luçon, chancelier du roi de Franoe à Milan, à Gian Giorgio Seregni, rapporté par Pasolini, ouv. cité, II, 241.