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vous montrer l’estime très haute où je vous tiens et de vous persuader que je ne voudrais jamais non seulement maltraiter, mais même contrister plus que de nécessité votre personne, que je vous propose, je vous conjure, de me céder spontanément cette rocca.

« Je vous promets toutes les conditions les plus avantageuses : je vous ferai assigner par le Pape des Etats, des revenus convenables pour vous et pour vos fils. Je m’en porterai moi-même garant. Vous pourrez vous établir partout, à Rome même s’il vous plaît. Ainsi vous épargnerez à vous-même et aux vôtres des travaux et des périls beaucoup plus grands que vous ne le croyez ; vous ne verrez pas une horrible effusion de sang ; en capitulant à temps, vous serez jugée femme valeureuse, adroite, et vous éviterez que par toute l’Italie on parle mal et l’on se rie de vous comme d’une femme aveugle et folle qui s’obstine à résister à des forces si supérieures. Cédez, cédez donc, Madame ! Cédez à mes prières. »

Et Catherine de répliquer :

« Seigneur duc, la fortune aide les intrépides et abandonne les couards. Je suis fille d’un homme qui ne connut point la peur, et, quelque chose qui puisse m’arriver, je suis résolue à cheminer sur ses traces jusqu’à la mort.

« Je sais combien sont changeantes les fortunes des États ; des histoires, oui, j’en ai beaucoup lu, il est vrai ; mais ce serait chose indigne qu’oubliant qui fut mon père et qui furent mes aïeux, je consentisse à me réduire en condition privée. Vous dites ne pas vouloir me parler de la cause de votre venue, mais c’est seulement parce qu’il ne vous plairait pas ensuite d’écouter ce que j’aurais envie de vous répondre.

« Je vous remercie de la bonne opinion que vous dites avoir encore de moi, mais, quant à la promesse qu’aujourd’hui vous me faites en votre nom et au nom du pontife, je me trouve forcée de vous répondre que, comme les prétextes allégués par votre père pour me déclarer déchue de ces États avec mes fils, dans le monde entier ont été jugés faux, iniques, misérables, de même et tout autant pour fallacieuses et trompeuses je tiens vos promesses et celles du Pape. L’Italie sait ce que vaut la parole des Borgia, et la mauvaise foi du père enlève tout crédit au fils.

« J’ai des forces suffisantes pour me défendre, et je ne crois pas du tout que les vôtres soient irrésistibles.