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flatterie et des flatteurs, écrivait-elle, assez peu de temps après, et je ne désespère pas que la sincérité ne revienne à la mode. C’est ce que nous devons attendre de l’équité de notre nouveau Dauphin dont on s’étoit formé jusqu’ici une très fausse idée. Toute sa conduite détruit cette prévention où l’on étoit contre lui, car, depuis le pas qu’il vient de faire vers le trône, il s’est attaché à prendre connoissance des affaires, et ce n’a été que pour leur faire prendre un meilleur tour. Il va travailler surtout à régler et à augmenter les finances, et cela sans fouler les peuples, puisque c’est en faisant rendre compte à ceux qui en ont le maniement[1]. »

Il n’est guère difficile à l’héritier présomptif d’un trône de se faire bien voir de l’opinion publique, surtout quand les affaires vont mal, que le souverain auquel il doit succéder est vieux, et qu’on peut supposer chez son successeur des vues quelque peu différentes. Aussi le revirement des esprits en faveur du Duc de Bourgogne fut-il prompt à s’opérer, et ce mouvement s’étendit rapidement à toute la France. « De la Cour à Paris, dit encore Saint-Simon, et de Paris au fond de toutes les provinces, cette réputation vola avec tant de promptitude que le peu de gens anciennement attachés au Dauphin en étoient à se demander les uns aux autres s’ils pouvoient en croire ce qui leur revenoit de toutes parts. Quelque fondé que fût ce prodigieux succès, il ne faut pas croire qu’il fut dû tout entier aux merveilles du jeune prince. Deux choses y contribuèrent beaucoup : les mesures immenses et si étrangement poussées de cette cabale dont j’ai tant parlé à décrier ce prince sur toutes sortes de points, et le contraste de l’élastique à la chute du poids qui lui écrasoit les épaules, après lequel on le vit redressé, l’étonnement extrême que produisit le même contraste entre l’opinion qu’on en avoit conçue et ce qu’on ne pouvoit s’empêcher de voir, et le sentiment de joie intime de chacun, par son plus sensible intérêt, de voir poindre une aurore qui déjà s’avançoit, et qui promettoit tant d’ordre et de bonheur après une si longue confusion et tant de ténèbres[2]. »

Si la timidité, le sentiment de la malveillance dont il était l’objet de la part de son père et la crainte de porter ombrage à son grain -père avaient en effet écrasé les épaules du Duc de

  1. Lettres historiques et galantes, tome III, p. 259.
  2. Saint-Simon. Édition Chéruel de 1856, t. IX, p. 303.