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« Imbéciles ! dit Catherine, en se découvrant, n’ai-je pas le moyen d’en faire d’autres ? » Et voilà résumé, dessiné, à jamais gravé dans la mémoire populaire, tout le personnage de Catherine, en un mot, en une posture. L’histoire, maintenant armée de la critique des sources, prétend au contraire que la chose s’est passée bien plus simplement. A l’heure où les Orsi ont traîné devant la rocca, non pas tous les enfans, mais les deux fils aînés de Catherine, et la font implorer successivement par la nourrice, par sa sœur Stella, par Ottaviano et Livio, la comtesse, brisée de fatigue et d’émotion contenue, est couchée dans le maschio, ou tour centrale de la forteresse, et profondément endormie. Elle ne s’éveille que lorsqu’un tumulte éclate, bruits de rixe, course d’hommes, coups de feu : tumulte artificiel, fausse alarme provoquée par le châtelain qui redoute que, de la chambre haute, où il l’a prudemment reléguée, malgré l’épaisseur des murs, elle n’entende l’appel aigu des chères voix suppliantes, « que cette pauvre madame ne s’attendrisse d’amour et de pitié, et que le cœur ne lui saute hors de la poitrine. » Catherine croit que les révoltés donnent l’assaut à la rocca ; elle se jette dans l’escalier, descend, arrive jusqu’au rempart, les cheveux défaits, en chemise, à demi nue. De là, la légende. Mais, rectifie l’histoire, à ce moment la comtesse est plus terrifiée que terrible ; et ni de la posture, ni du mot, ni Cobelli, ni Bernardi, aucun des chroniqueurs, aucun témoin, aucun contemporain ne parlent. Machiavel en parle, sans doute, mais il n’est venu à Forli, il n’a connu personnellement Catherine qu’onze ans après, en 1499. Qu’importe, n’est-ce pas Machiavel qui a raison ? A tout le moins, il sent mieux que personne ce qu’il y a en Catherine de machiavélique, et, s’il l’y met, c’est qu’il le sait bien placé en elle. Ici encore, comme dans tant de cas, la légende est plus vraie que l’histoire, et Catherine est plus Catherine, telle qu’elle aurait pu être et que probablement elle n’a pas été.

Si, déprimée par les jours affreux qu’elle traverse, Catherine n’a pas été telle à cette minute-là, qui cependant est bien restée pour elle une minute « psychologique, » c’est alors, à cette minute-là, qu’elle n’a pas été elle-même ; mais tout de suite elle se retrouve, et tout de suite nous la retrouvons. Elle fait braquer sur la ville les canons de la forteresse et de temps en temps tirer une volée. Les boulets portent de sa part aux habitans de Forli cet avertissement : pour l’assassinat de Girolamo