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maison de l’Urso avec ces fustibus et lanternis[1]. Je veux vous dire le vrai ; à moi, il me paraissait certes que ce fussent et qu’ils menassent Madame comme faisaient ces juifs quand ils menaient, ainsi armés, Jésus-Christ à Anne et à Caïphe et à Pilate ; ainsi paraissait-il qu’il en fût de madame la comtesse. Certes, cela me paraissait une compassion et cela me serrait dans les épaules, parce que j’avais reçu bienfait de sa seigneurie ; mais il me fallait rester coi, propter timorem zudiorum (Judærum). » Tout le monde tremble, sauf Catherine qui, lorsqu’elle n’est plus chez les Orsi, lorsque Savelli l’a fait déposer, sous la garde de trois gentilshommes, à la rocchetta de la porte San-Pietro, reprend hardiment et habilement l’offensive. Dans la chambre étroite où ils sont entassés, elle-même, sa fille Bianca, ses cinq fils, les deux derniers avec leurs nourrices, sa mère Lucrezia Landriani, et sa sœur Stella, c’est un concert de pleurs et de gémissemens. Mais il y a vraiment en elle de la grandeur romaine ; la virago se montre vraiment presque vir ; elle est vraiment princesse, et vraiment presque le Prince. « N’ayez pas peur, répète-t-elle aux siens, et surtout, ce qui serait pis, n’ayez pas l’air d’avoir peur. » Muzio Attendolo et le duc Francesco, ses ancêtres, n’avaient jamais su ce que c’était que la peur, et c’est pourquoi ils avaient échappé au fer, au feu, aux trahisons, pourquoi ils avaient été en leur temps de grands princes et de grands condottieri de guerre… Elle aussi, quand elle était petite, elle avait eu son père assassiné, assassiné aussi par ses gens ; pourtant elle n’avait pas perdu courage… Que ses enfans fassent comme elle avait fait ! » Toute sa pensée, toute sa volonté sont maintenant tendues sur ceci : rentrer dans sa bonne rocca de Ravaldino, et de là défier ses ennemis, et là rétablir la fortune. Elle monte ce coup de ruse et de force comme elle en a monté tant d’autres. Elle a ses émissaires, ses intermédiaires, qui vont et viennent de la rocca à la ville, qui circonviennent le protonolaire effaré, les magistrats irrésolus, les conjurés hésitans et divisés. « Le châtelain de Ravaldino, » insinue Francesco Ercolani, « homme de bien, très sagace et malicieux, ne demanderait pas mieux que de rendre la rocca, mais il ne veut point passer pour félon, il veut le consentement de la comtesse, il veut un certificat de bons et loyaux services. Si seulement il pouvait parler à Madame sans

  1. C’est une citation populaire et qui revient souvent. Cf. la nouvelle CXC de Sacchetti. Édit. Ottavio Gigli ; 1888, Florence, Le Monnier, t. II, p. 143.