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heure, parmi les gens d’armes qui, dans des intentions diverses, se réfugient à la rocca, elle glisse un homme à elle, chargé de faire écrire par le châtelain à Bentivoglio de Bologne et au duc de Milan, afin qu’ils la secourent. Elle reçoit dignement, quoique froidement, Mgr Savelli, protonotaire et gouverneur de Cesena, venu aussitôt, à la demande des traîtres, pour prendre possession de Forli, au nom de l’Église. Mais elle ne peut supporter le mauvais prêtre qui s’ingénie à obtenir d’elle la reddition de la rocca, en lui tenant cet odieux langage : « Le comte a été tué pour ses péchés, et, vous-même, le péché d’avoir persécuté des prêtres et des frères et d’avoir pillé des églises vous fera mal finir. Or donc, ma sœur, prenez-en votre parti et donnez-nous cette rocca ; autrement, vous ne mangerez ni ne boirez jusqu’à ce que vous nous l’ayez fait donner, et ainsi nous vous laisserons mourir de faim. » La comtesse étouffe, est comme syncopée d’indignation et de colère : elle n’a que la force d’appeler Lodovico Orsi, dans la maison de qui elle est gardée à vue : « O Messer Lodovico, lui dit-elle, je vous en prie pour l’amour de Dieu, ôtez d’autour de moi ce prêtre ! » Les plus sages de ses sujets, ceux qui la connaissent le mieux, ne se trompent pas sur ce qui se passe et ce qui s’apprête dans son âme. Niccoló Tornielli conseille prudemment de ne pas la pousser à bout. « Sinon, il pourrait en découler pour la cité des conséquences très funestes, car elle est d’esprit subtil, et d’un cœur connu de tous, et fière aussi et inexorable en ses vengeances[1] »

Ici réapparaît le machiavélisme prémachiavélique de Catherine[2]. Le protonotaire Savelli insiste et fait insister auprès d’elle pour que la rocca lui soit rendue, sachant bien que, tant qu’il n’a pas le château, il n’a pas la ville. Elle, qui a sur-le-champ averti le duc de Milan, son frère, et son voisin de Bologne, Bentivoglio, elle n’a qu’à traîner les choses en longueur, et par conséquent elle peut tout promettre, pourvu que l’on ne tienne pas. Pour la troisième fois, elle se rend au pied de la rocca de Ravaldino, et, pour la troisième fois, le châtelain se met aux créneaux ; mais, cette fois, Madame n’est pas libre et maîtresse ; ce sont ses ennemis qui l’y ont conduite. De haut en bas, entre la comtesse et son châtelain, voici le dialogue qui s’engage :

  1. D’après Burriel, II, 260.
  2. Avril 1488.