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Tout autre il apparut quand, rapproché du trône, rassuré par la dispersion de la cabale contre les dénonciations qu’il pouvait craindre, encouragé par la bienveillance et la confiance croissantes que lui témoignait le Roi, il put se montrer sans contrainte ce qu’il était véritablement, c’est-à-dire un prince judicieux, instruit, bienveillant, facilement accessible. Très rapidement il prit de l’assurance et de l’aisance. Il sortit davantage de son cabinet et se mêla avec plus d’abandon au mouvement de la Cour. Ce fut surtout durant ces longues promenades dans les jardins de Marly ou de Versailles, qui occupaient les après-dînées, et auxquelles se complaisait le Roi, qu’il eut occasion de se familiariser davantage avec les courtisans, et de se laisser aller à s’entretenir avec eux. Le Duc de Bourgogne avait beaucoup étudié, beaucoup lu ; il savait beaucoup ; mais il avait jusque-là renfermé au dedans de lui-même les notions qu’il avait acquises. A l’étonnement de ceux qui le connaissaient peu, à la joie de ceux qui l’appréciaient depuis longtemps, il déploya, dans les groupes de courtisans qui commençaient à se former autour de lui, une bonne grâce, une érudition sans pédanterie, voire même un enjouement dont on le croyait peu capable. Il y joignait de grands égards pour les personnes, une attention soutenue à traiter chacun suivant son rang, à distinguer de la foule ceux qui méritaient de l’être, sans cependant offenser les autres par une négligence désobligeante ; en un mot il fit preuve de qualités qui avaient paru jusque-là tout à fait étrangères à sa nature : « On vit, dit Saint-Simon, ce prince timide, sauvage, concentré, cette vertu précise, ce savoir déplacé, cet homme engoncé, étranger dans sa maison, contraint de tout, embarrassé partout, on le vit, dis-je, se montrer par degrés, se déployer peu à peu, se donner au monde avec mesure, y être libre, majestueux, gai, agréable, tenir le salon de Marly dans des temps coupés, présider au cercle rassemblé autour de lui, comme la divinité du temple qui sent et qui reçoit avec bonté les hommages des mortels auxquels il est accoutumé, et les récompenser de ses douces influences… Le Dauphin devint un autre prince de Conti. La soif de faire sa cour eut en plusieurs moins de part à l’empressement de l’environner, dès qu’il paroissoit, que celle de l’entendre et d’y puiser une instruction délicieuse par l’agrément et la douceur d’une éloquence naturelle qui n’avoit rien de recherché, la justesse en tout, et, plus que cela, la