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céder à certains entraînemens. En tout cas elle est avertie, et le pays l’est avec elle.

M. Poincaré a dit un mot de la loi de séparation : peut-être ne pouvait-il pas s’en dispenser. Il a assuré que le pays l’avait solennellement approuvée. Nous en doutons : comment aurait-il pu approuver ou désapprouver une loi dont il a sans doute entendu parler, mais dont il n’a pas encore senti les premiers effets et que, dès lors, il ne connaît pas ? La vérité est que le pays est demeuré, au moins jusqu’à ce jour, indifférent à la loi de séparation ; mais cela suffit pour imposer au gouvernement d’un côté et à l’Église de l’autre des devoirs de prudence et des ménagemens de conduite. « La loi sera appliquée sans défaillances, a dit M. Poincaré, avec le ferme propos d’écarter tout retour offensif et toute manœuvre insidieuse du parti clérical, mais aussi avec le constant scrupule de ne rien entreprendre contre la liberté des croyances religieuses. » Si cette promesse est tenue, l’apaisement se fera peu à peu. Il est encore loin d’être fait ! On voit, par les paroles mêmes de M. le ministre des finances que l’Etat conserve ses défiances, et l’Église aussi les siennes. Le temps seul et l’expérience de la loi, si on la fait de part et d’autre dans des conditions raisonnables, pourront les dissiper.

La réunion des évêques de France a eu lieu, le 30 et le 31 mai, à l’archevêché de Paris. C’est un événement considérable, dont nous aurions désiré qu’il se produisît plus tôt, mais sur lequel les retards même qu’il a subis avaient attiré une attention encore plus intense. Les délibérations de l’assemblée ont été secrètes, autant du moins qu’un secret qui intéresse tout le monde peut être conservé aujourd’hui. On ne sait rien des délibérations des évêques, sinon que la grande majorité d’entre eux s’est prononcée dans le sens le plus modéré. On a même donné les chiffres de la majorité et de la minorité : nous ne les reproduisons pas, parce que rien ne nous garantit leur exactitude. L’important est qu’on sache à Rome à quoi s’en tenir à ce sujet, non pas que le Saint Père doive nécessairement suivre les indications qui en résultent pour lui, — sa liberté reste entière, — mais parce qu’il est de toute vraisemblance morale qu’il s’en inspirera dans sa résolution finale. Les archevêques et les évêques de France ont émis, en toute liberté eux aussi, une opinion qui leur était demandée et qui se recommande de leur âge et de leur expérience. Connaissant leurs troupeaux, ils savent ce qu’ils peuvent en attendre. Il n’en est pas un seul qui ne pense de la loi ce que le Pape en a dit dans sa dernière Encyclique ; mais le Pape a parlé doctrinalement. Il a admis que, dans la pratique, la doctrine pourrait se concilier avec quelques tempéramens,