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du monde, à savoir qu’il n’y a pas dans le pays, « la force vivante, intelligente, organisée, » qui seule pourrait insuffler une âme à ses projets. Comment dire plus clairement que le pays ne comprendrait rien à la conception socialiste, et que, si on la lui présentait sans voiles, il reculerait épouvanté ? Aveu dépouillé d’artifice ! Les radicaux l’entendront-ils, et, s’ils l’entendent, en saisiront-ils toute la portée ? Les socialistes attendent d’eux qu’ils leur fassent la courte-échelle en vue de la réalisation ultérieure de projets actuellement inavouables, et qui restent d’ailleurs indéterminés. Accepteront-ils ce rôle ? Abdiqueront-ils au profit de l’inconnu ?

La situation étant telle, un gouvernement qui saurait bien ce qu’il voudrait et qui aurait le courage de le dire exercerait peut-être sur la majorité une action décisive. Le discours de M. Poincaré à Commercy donnerait à croire que ce gouvernement existe ; mais d’autres symptômes en font douter. Il y a des choses excellentes dans le discours de Commercy. Nous glissons sur la première partie où M. Poincaré se souvient qu’il est membre du cabinet Sarrien, et triomphe avec lui des élections dernières. La seconde est plus personnelle. M. Poincaré y conseille à la Chambre de s’élever au-dessus des considérations locales, de s’affranchir des préoccupations subalternes, de se rappeler que chaque député ne représente pas sa circonscription mais la France entière et qu’il doit se préoccuper des intérêts généraux. Si la Chambre ne se rendait pas compte de ces grandes vérités, malheureusement trop négligées, « il faudrait renoncer à l’espoir de mener à bien ces simplifications administratives qui sont la condition essentielle de la décentralisation ; sans lesquelles, par suite, on ne saurait réchauffer dans notre pays tant de foyers refroidis, ni raviver tant d’énergies dormantes ; sans lesquelles, non plus, il n’est pas possible de trouver les économies rigoureuses et permanentes qu’exige impérieusement, dès aujourd’hui, le rétablissement de l’équilibre budgétaire. » On entrevoit à travers ces lignes une immense réforme, mais on ne la voit pas nettement. Quand le gouvernement voudra aborder dans toute son ampleur une œuvre de décentralisation qui réveillera l’esprit provincial assoupi et permettra de faire, au centre, d’importantes économies, une telle entreprise méritera et obtiendra sans doute une grande attention. Mais, comme on ne nous parle encore que de supprimer pour un million et demi de sous préfets, on nous permettra de dire que c’est prendre l’affaire par un bien petit bout, et de nous réserver. Néanmoins, les paroles de M. Poincaré excitent la curiosité et font naître des espérances. Attendons.