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Les radicaux s’en consoleront eux-mêmes si, à défaut de qualités plus sérieuses, ils ont quelque amour-propre, car il est désobligeant d’être traité comme on les traite : et au surplus, ils n’ont qu’à se compter pour reconnaître que, si les socialistes sont résolus à se passer d’eux, ils peuvent encore bien mieux se passer des socialistes. S’ils restent unis, leur majorité est assez considérable pour se suffire à elle-même sans avoir besoin d’un appoint étranger. Leur programme n’est pas le nôtre et il fait naître chez nous de très vives préoccupations ; mais puissent-ils ne pas l’aggraver encore, dans l’espoir de rentrer en grâce auprès des socialistes ! Ces derniers sentent bien que leur propre programme serait aujourd’hui, non seulement irréalisable, mais encore effrayant pour le pays : aussi se gardent-ils de l’exposer au grand jour. Ils le conservent dans un tabernacle intangible et obscur. Le pays doit venir à eux par un acte de foi spontané, sans savoir d’ailleurs où il va, ni ce qu’il trouvera au bout de la route. On n’a jamais demandé aux hommes un plus grand sacrifice de leur jugement ; mais ils aiment le mystère, et c’est sur quoi comptent et tablent les socialistes. Nous n’exagérons pas. M. Jaurès, avant les élections, avait promis qu’aussitôt après il déposerait sur le bureau de la Chambre un ensemble de projets de loi qui donneraient enfin une forme concrète à la conception socialiste. Cette promesse nous avait réjoui : nous allions enfin voir le monstre, et peut-être le prendre corps à corps. Mais le mirage se dissipe une fois de plus. Ce n’est pas sans regret que nous avons lu les paroles suivantes dans le discours de M. Jaurès à Saint-Mandé : « Si nos adversaires nous pressent, nous ne serons pas en peine pour tracer non pas dans le détail minuscule et misérable, qui est réservé à l’avenir, mais dans ses grandes lignes, comme nous l’avons déjà fait, comme nous pouvons le préciser encore, le plan, le dessein, le schéma général de ce que nous voulons. Mais nous nous hâtons d’ajouter : il ne servirait à rien de coucher sur le papier — même sur le papier législatif — des plans de société nouvelle s’il n’y avait pas dans le pays la force vivante, intelligente, organisée, capable d’assumer la gestion et la direction de la société nouvelle. » Autant de mots, autant de déceptions pour nous ! C’est précisément ce « détail minuscule et misérable, » mais qui ne nous paraît pas tel, que nous attendions de M. Jaurès. Il le renvoie à « l’avenir, » se bornant à nous promettre, et encore si nous l’en pressons, quelques-unes de ces phrases dont il a déjà été si prodigue, mais, qui, nous devons l’avouer, nous ont rempli l’oreille sans que rien en sonnât à l’esprit. Et quel motif donne-t-il de son abstention ? Le plus imprévu