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uns ont attaqué M. Millerand et, dans ce parti de l’envie, ils étaient peut-être les plus nombreux ; les autres l’ont défendu. Au premier rang de ces derniers était M. Jaurès. Il est aujourd’hui tout changé ; il brûle ce qu’il avait adoré ; il s’incline devant M. Guesde. Pourquoi ? Les raisons de cette métamorphose sont diverses, sans doute, et nombreuses ; mais il est permis de croire que les déceptions que M. Jaurès a éprouvées, soit dans sa personne, soit dans celle de M. Millerand, y ont été pour quelque chose. Il a assisté, dans la dernière Chambre, à sa propre grandeur et à sa décadence. Elu une année vice-président, il a été précipité du fauteuil la suivante, et il a pu reconnaître alors que la faveur parlementaire ressemblait aux sables mouvans du désert. Comment bâtir sur une base aussi inconsistante ? Quant à M. Millerand, sa grande trahison a causé une douleur très vive à M. Jaurès. À qui se fier, sur quoi compter dans ce monde parlementaire où la solidité des groupes aussi bien que la vertu des hommes sont soumises à tant de causes de perturbation ? Est-ce à l’amertume de ces pensées qu’il faut attribuer la conversion de l’orateur socialiste ? Quoiqu’il en soit, après avoir rêvé et tenté de faire l’unification du parti autour de lui-même, il l’a faite autour de M. Guesde ; il s’est rallié docilement au fanion de ce dernier. Peut-être a-t-il reconnu qu’à agir autrement il ne serait pas suivi. Il a été réélu difficilement dans le Tarn, et le succès de M. Guesde dans le Nord n’a pas été non plus très brillant : il a tiré son éclat et sa signification de la chute de M. Motte beaucoup plus que du faible écart de voix qui s’est produit entre les deux concurrens. Au total, la victoire des socialistes a été médiocre, comparée à celle des radicaux. Si l’unification était apparue avant les élections comme une nécessité électorale, l’union apparaît le lendemain comme une nécessité politique, et elle ne peut se maintenir que sur le principe de la lutte de classes. M. Guesde est donc maître de la situation, provisoirement peut-être, car nous sommes dans un temps où rien ne dure et où tout se transforme, mais évidemment. Dans le concert socialiste, c’est sa note qui domine, sa note criarde et stridente.

On l’a bien vu au banquet que les socialistes ont tenu à Saint-Mandé. Ce nom de Saint-Mandé rappelle de vieux souvenirs. C’est là que M. Millerand a prononcé, il y a quelques années, un discours fameux qui contenait le programme du parti socialiste de cette époque, devenu à peu près celui du parti radical d’à présent. On a tourné longtemps autour de ce programme : combien il paraît aujourd’hui terne, insuffisant, insignifiant à M. Jaurès qui en avait autrefois mieux apprécié les