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prend la défense du second, auquel il s’attache volontiers jusqu’à se confondre avec lui, disant d’un ton superbe : « Le général André et moi ! » Serions-nous vraiment condamnés à revoir ce triumvirat ? Nous n’en croyons rien. Il y a eu tout d’un coup une imprécation générale contre M. Camille Pelletan dans la presse radicale-socialiste. — Avouez tout simplement, lui a-t-on dit, que vous voulez être ministre ! — En effet, il semble ne pas pouvoir se consoler de ne plus l’être, en quoi il est très injuste pour lui-même et méconnaît ses vrais mérites : quand on a une aussi bonne plume, à quoi bon courir après un portefeuille ? on reste journaliste. Mais si nous laissons de côté la question personnelle, trop apparente dans ses articles, M. Pelletan y a bien posé la question politique : la majorité radicale doit-elle ou ne doit-elle pas se détacher des socialistes ! doit-elle gouverner sans eux ou avec eux ? doit-elle consentir les sacrifices nécessaires pour maintenir l’union, ou, au contraire, s’affranchir de toute solidarité avec eux ? Nous avons déjà dit l’opinion de M. Pelletan, et tout le monde l’aurait devinée sans qu’il eût besoin de la dire. M. Pelletan ne contient pas sa terreur et son indignation à la pensée que le bloc pourrait se dissoudre. S’il y avait à gauche des socialistes unifiés un parti encore plus avancé, il faudrait encore s’entendre avec lui : à plus forte raison faut-il s’entendre avec eux. Que de plus facile ? On l’a fait jusqu’ici, il n’y a qu’à continuer.

La suggestion pourrait tenter les radicaux-socialistes. Ne disions-nous pas nous-même, il y a quinze jours, que l’habitude prise et aussi le souvenir de tant d’avantages remportés en commun devaient incliner les radicaux-socialistes dans le sens où M. Pelletan les pousse ; mais pour conclure une entente il faut être deux, et M. Pelletan a négligé de s’assurer que la bonne volonté dont il est animé lui-même était égale des deux côtés. Il semble que les socialistes ne la partagent pas. Déjà avant les élections, ils se sont « unifiés » sur le principe de la lutte de classes, qui exclut les compromis opportunistes auxquels beaucoup d’entre eux s’étaient prêtés au cours des dernières années. Le plus important de ceux-là a été M. Jaurès. Il a longtemps lutté contre M. Guesde qui croyait peu à l’efficacité de l’action parlementaire et qui désavouait complètement la participation au gouvernement. Comment M. Jaurès aurait-il, de prime abord, partagé cette opinion ? Il se servait de la tribune avec trop d’éclat et de bruit pour ne pas croire à sa puissance, et, d’autre part, l’influence qu’il était arrivé à exercer sur le gouvernement l’avait amené à y prendre goût. On n’a pas oublié le scandale qui a divisé les socialistes lorsqu’un des leurs est entré au ministère. Les