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comité général pour connaître les noms des chefs de la conspiration : Mme de Staël est accusée à la tribune d’avoir « dirigé le mouvement des sections[1]. » Cette accusation est ridicule et fausse : Mme de Staël a tout fait, au contraire, pour détourner ses amis de prendre les armes. Mais on veut se débarrasser d’elle. Donc ce même jour, 23 vendémiaire, le Comité de salut public prend un arrêté, qui lui ordonne de sortir de France dans un délai de dix jours ; l’arrêté est envoyé à M. de Staël.

Ce diplomate est fort perplexe : le régent de Suède se plaint que la France ne paye pas les subsides promis, et sa femme le brouille, encore une fois, avec la République. Il se rend au Comité du salut public, se plaint mollement et avec embarras d’une mesure « contraire au droit des gens. » Staël parti, Boissy d’Anglas fait remarquer à ses collègues qu’il faut ménager le prince régent et l’alliance suédoise, que M. de Staël tient à son ambassade beaucoup plus qu’à sa femme, qu’il aimera mieux garder l’une et renvoyer l’autre. Cet argument persuade le Comité, jet l’on se met d’accord pour déchirer l’arrêté et autoriser la section des relations extérieures à arranger l’affaire. Il est convenu que Mme de Staël restera quelque temps à la campagne ; ensuite, les apparences étant sauves, elle pourra quitter la France.

Mais Mme de Staël est peu pressée de partir : elle espère que le gouvernement, de guerre lasse, fermera les yeux sur sa présence. Le Directoire va succéder à la Convention ; elle a parmi les Directeurs un ami, Barras, et elle compte s’en servir. D’autre part, son père, M. Necker, lui écrit de Suisse que sa déférence et celle de M. de Staël aux invitations pressantes du Comité de salut public lui paraissent « entachées de faiblesse[2]. » Aussi, dans les derniers jours de brumaire (vers le 15 novembre), elle est de

  1. Lacretelle, Histoire de France, t. XIV, le Directoire, p. 55. — Thibeaudeau, mémoires, 1, 236, dit : « On l’accusa même d’avoir excité la révolte. » Il paraît certain que ce fut dans cette séance secrète de la Convention, le 23 vendémiaire, dont le compte rendu ne fut pas publié, que Mme de Staël fut accusée ; il n’est pas fait mention d’elle à la tribune de la Convention depuis l’intervention de Legendre, et cependant la double affirmation de Lacretelle et de Thibeaudeau est très nette. Par conséquent nous avons adopté cette date du 23 vendémiaire, qui concorde également avec la date de l’arrêté d’expulsion pris par le Comité du salut public, d’après Thibeaudeau.
  2. Necker à Meister, déc. 1795. (Recueil Usteri et Ritter, p. 133.)