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de l’armée et de la flotte réunies contre Québec. Par là, Pitt se montre un des initiateurs de la remarquable méthode adoptée par les Anglais pour leurs guerres coloniales, il a conquis le Canada en trois bonds, procédant l’un de l’autre, comme plus tard lord Kitchener le Soudan égyptien.

Il ne semble pas que l’opinion, en Angleterre, ait suivi avec beaucoup d’attention les préparatifs de l’expédition contre Québec ; fort peu d’Anglais, alors, connaissaient le Canada, et l’impression de ceux qui n’avaient fait qu’y passer pendant les campagnes précédentes était peu faite pour rendre populaire un pays où l’on abordait, au printemps, parmi la débâcle des glaces, tandis qu’en été la chaleur est souvent très vive, et les moustiques insupportables. Seul, Pitt paraît avoir deviné la valeur de sa future conquête ; peut-être, soupçonnant les difficultés qui devaient bientôt surgir dans la Nouvelle-Angleterre, désirait-il assurer une forte position à la métropole, sur le flanc de ses colonies déjà récalcitrantes. On ne saurait trop admirer sa prévoyance, surtout lorsqu’on la compare avec l’inertie de la cour de France, où Bougainville, pendant l’hiver de 1758-1759, ne pouvait obtenir que des croix et de platoniques encouragemens. Les troupes île Wolfe appartenaient à des régimens d’élite, spécialement à ces Highlanders, dont le costume pittoresque semble indiquer le mépris des armes défensives, et qui manœuvraient sur le champ de bataille comme à la parade, frappant d’estoc et de taille avec leur terrible épée courte. Et cependant, malgré l’excellente qualité de ces troupes, malgré les soins presque minutieux des préparatifs, Wolfe n’avait pas confiance ; il craignait la navigation du Saint-Laurent, il s’attendait à la résistance de Québec, prévenue de ce qui la menaçait ; la maladie pouvait atteindre ses hommes ou lui-même ; ses lettres le montrent inquiet et mélancolique. Ses pressentimens ne le trompaient pas : le succès de la campagne contre Québec, très longtemps incertain, fut dû à un concours tout à fait exceptionnel de circonstances, comme si le destin avait voulu faire ressortir la complicité de sa force irrésistible contre les Français.

« Rien ne m’a paru si beau et si magnifique que la situation de Québec, écrivait le comte de Frontenac en 1672, dans sa première lettre du Canada ; cette ville ne saurait être mieux postée, quand elle devrait devenir un jour la capitale d’un grand empire. »