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ces gens, opiniâtres au travail, prodigues de leur effort comme du bien qu’ils accumulent, sont rebelles à l’idée d’une hiérarchie ; on les avait vus, en 1690, concerter une campagne contre le Canada ; New-York et Boston devaient agir ensemble, l’une par terre, l’autre par mer ; 5 à 6 000 hommes avaient été réunis à cet effet ; mais l’armée de New-York dut se borner à brûler quelques fermes au sud de Montréal, et les Bostonnais de Phips, qui s’imaginaient surprendre Québec par le fleuve, furent repoussés avec de grandes pertes. Cette campagne est caractéristique, parce qu’alors l’Angleterre n’avait pas plus envoyé de renforts à ses colonies que Louis XIV au Canada : c’étaient exactement les deux sociétés coloniales qui se trouvaient aux prises.

Pendant la première moitié du XVIIIe siècle, les deux colonies grandirent pacifiquement ; lorsque la guerre éclata, la Nouvelle-Angleterre, sans cesse renforcée par l’afflux des émigrans, était beaucoup plus peuplée que le Canada, dont la population n’avait progressé que de sa propre substance. On a vu pourtant que les succès furent balancés, tant que l’Angleterre n’intervint pas avec des forces considérables. Le plan de campagne de 1757 avait été arrêté à Boston, au mois de janvier ; il comportait essentiellement l’attaque de Louisbourg par une armée américaine, avec le concours d’une flotte anglaise : celle-ci ayant été dispersée par une tempête, on n’obtint aucun résultat. En 1758, au contraire, Pitt s’occupe personnellement d’activer et de diriger les préparatifs anglo-américains ; bientôt le général Abercromby, dans la Nouvelle-Angleterre, dispose de 22 000 hommes de troupes régulières ; des vaisseaux anglais arrivent d’Europe et, dans l’attaque heureuse, cette fois, de Louisbourg, Wolfe se distingue par l’opportunité d’une manœuvre hardie et décisive, l’occupation d’un rocher escarpé d’où ses troupes protègent le débarquement du corps principal.

Né en 1727 dans le comté de Kent, fils d’un colonel, Wolfe s’était embarqué avec son père, dès l’âge de treize ans ; il s’était battu en Flandre, puis en Écosse, contre les Jacobites ; las des besognes de la vie de garnison, vexé par certaines promotions de camarades, peu riche, il fut enfin remarqué par Pitt, en 1757, à l’occasion d’une démonstration navale contre Rochefort, qui d’ailleurs échoua : lui seul, paraît-il, aurait fait preuve de qualités militaires en cette circonstance ; officier de troupes, il passait pour