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Le voici encore, cet Adonis Hindou. L’artiste nous le montre sous les espèces pastorales. Tel Apollon gardant les troupeaux d’Amète, il se tient nonchalamment appuyé contre un arbre, et lire de sa flûte en roseau les accords les plus langoureux. Une vache blanche lui lèche tendrement le talon ; elle semble beugler doucement. Les govastris l’entourent, le couvrent de leurs regards amoureux.

Mais ne comptez point que je vous fasse le récit des amours de ce dieu libertin, moderne et lascif avatar de Vishnou qui apparut dans l’Inde il y a quatre siècles, peut-être, pour y faire la fortune scandaleuse que vous savez. C’est assez, c’est trop d’avoir encouru déjà le reproche de trop chérir l’art indien et « son sensualisme grossier, vraiment choquant, » pour ne pas tomber encore dans cette erreur de magnifier les légendes auxquelles ce sensualisme donne un corps.

C. Apoupatar a bien voulu me promettre une série de ses œuvres. Mais je ne l’aurai pas avant deux mois, tant il se donne pour accablé de besogne. Alors je me suis rendu chez le fameux Vaïti-lingam. C’est à peine si le Phidias local consent à poser son ébauchoir pour me montrer la Parvati qu’il achève. Ce Vaïtilingam est un maître, et il ne travaille que sur commande. Ses figures de femme sont posées, campées, drapées avec une gracieuse sévérité qui enchante. Sa science du modelé dans les nus est considérable. Sa connaissance des aplombs, de la compensation des masses des proportions, des attaches, indique une initiation occidentale. Ce que son art a perdu en naïve originalité, il l’a retrouvé en correction. Pour tout dire, c’est un excellent artiste. — Mais ses œuvres ne courent point les rues. Exécutant lui-même, il produit peu. Faut-il donc s’y prendre ù l’avance pour en obtenir une statuette.

Je dois vous parler aussi des sculpteurs sur bois. Depuis des semaines, j’en ai là quatre, installés à l’hôtel dans une salle basse, où ils s’escriment du ciseau et de la gouge sur des panneaux en bois de bitte, afin de représenter les grandes divinités en bas-relief. Mais, pour une raison ou une autre, mon équipe de statuaires se disperse. Et comme ils demandent toujours des avances, comme un créancier menace sans cesse de les faire mettre en prison, je crains bien d’en être pour mon argent et de ne jamais voir Çiva et Parvati, Vishnou et Latchmi, Krichna et sa préférée Rada, Soubramanyé avec ses deux épouses…


MAURICE MAINDRON.