Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 33.djvu/869

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette Inde aussi pauvre qu’il y était entré. En la seule année 1754, il avait consacré treize millions et demi de son avoir à l’établissement de notre domination.

Aussi bien est-il, sinon impossible, du moins fort difficile de juger un homme d’aussi grande espèce, avec nos scrupules modernes et notre esprit d’ordre, méticuleux et tracassier, bureaucratique, qui rend impossible toute entreprise aventureuse. Quand bien même il devrait y avoir au bout un avantage majeur pour la patrie, la société ne permet plus à l’activité individuelle de se développer sans son concours, sans son contrôle pour mieux dire. Elle condamne l’homme indépendant à voler avec des ailes de plomb. Et c’est là un des grands malheurs de notre temps. L’esprit d’examen, toujours timoré, envieux et médiocre, a tué l’action. La collectivité prétend dicter partout sa loi à l’individu ; capable tout au plus d’exercer une surveillance, elle est impropre à l’action par laquelle seule on devient grand en ce monde. Primum vivere, deinde philosophari ! — De tous temps l’Inde a philosophé avec ses dieux et ses brahmes ; de tous temps elle a subi le joug de maîtres sans frein. Ayant préféré le livre à l’arme, l’idée au fait, elle s’est laissé dicter la loi par l’épée.

La vie d’Ananda est remplie par l’éphémère suprématie des Français dans l’Inde, suprématie que des rêveurs prétendirent établir sans la force, comme si la conquête par les armes n’était pas la fin nécessaire de toute entreprise coloniale. Il naît lorsque la France commence à s’établir dans le Coromandel et le Carnatic en y fondant des comptoirs ; il meurt quatre jours avant la démolition de Pondichéry par les Anglais. Sa maison, dans cette ruine, fut cependant respectée, si l’on en croit les témoignages de la famille. Je ne saurais, à vrai dire, m’en porter garant. Les maisons hindoues, dans le sud de l’Inde, semblables en cela aux pagodes et aux forteresses, ne présentent aucun caractère particulier qui permette de les dater avec certitude. Celles qui, par grand hasard, sont ornées de sculptures, ont été souvent composées de pièces et de morceaux empruntés à divers édifices beaucoup plus anciens. Il faut aussi compter avec les exagérations des historiens, toujours mal renseignés, ou infidèles par système. Tenez pour certain que le fameux sac de Pondichéry par les Anglais, en 1761, en cela pareil à la plupart des sacs, ne s’étendit que sur une faible partie de la ville. Les descendans d’Ananda affirment que la perte se réduisit à la