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instrumens de chasse et de pêche, le matériel de préparation, les outils, les boîtes, les étuis, sont autant d’objets qui les intriguent. Le petit phare à acétylène dont la lumière blanche sert à attirer les insectes nocturnes, les intéresse particulièrement. Toute la ville en parle. Et ces braves gens dissimulent à grand’peine leur dégoût devant ces dépouilles d’animaux, ces ossemens qui pendent aux murs, ces bocaux pleins de scorpions, de mille pieds, de crabes, de bêtes étranges dont ils ne soupçonnent point l’existence. Ces caisses grillagées où broutent des chenilles en élevage leur apparaissent comme le comble du ridicule. Quant aux loupes, aux scalpels, aux réactifs, si j’écoutais certains, je devrais leur faire des conférences, des leçons, m’établir chef de travaux pratiques, ouvrir un cours… Je les congédie avec des vagues promesses.

Les indigènes que je vois entrer avec le plus de plaisir sont les hommes des champs. Ceux-là m’apportent des animaux. Ils déballent sur la natte du plancher le contenu de leurs corbeilles : des serpens s’échappent en sifflant, les najas gonflent leur cou, l’élargissent en palette, se dressent, dardent leur langue, se balancent comme s’ils se livraient à une danse sacrée. Des lézards, des agames, des scinques courent à toutes jambes, et il faut leur donner la chasse dans les coins. Le scandale, pour le grave Cheick-Ismaël, c’est quand je prends un crapaud entre mes doigts. Quant à Soupou, il se serre les tempes à pleines mains et trépigne de désespoir lorsqu’il me voit distribuer de l’argent à ces pourvoyeurs, troquer de belles, de bonnes, de respectables roupies contre des bêtes immondes : — « Puisque vous tenez tant à acheter, que ce soient plutôt des bijoux, l’or et l’argent valent toujours leur prix. Voulez-vous que je vous mène chez un orfèvre ? — Mais, Soupou de mon âme, le Gouvernement m’a donné des fonds pour que je travaille à augmenter les collections du Muséum. Il s’agit d’acheter des crustacés parasites, et non pas des joyaux. Voyez donc, Soupou, à me procurer de grandes langoustes et d’énormes tourteaux, je recherche des sacculines et des lernées. — C’est bien, Monsieur, vous en aurez ce soir, à votre dîner. — Non point, Soupou, je les désire vivans. » Alors le petit homme noir, vêtu de mousseline blanche disparaît, en se frottant le front. Je suis devenu fou, c’est certain.

Mes ramasseurs d’animaux ne m’apportent que rarement des choses intéressantes. J’achète toujours, pour ne pas les décourager