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de prendre rang parmi les petites étoiles voisines de la Grande Ourse, tant monta haut vers le ciel le parfum de ses vertus. C’est alors que les bayadères firent leur entrée. Elles ne venaient point pour danser, mais pour assister l’épousée dans des rites spéciaux que seules ces prêtresses de l’amour ont la fonction d’accomplir. Sans honte, elles se glissèrent parmi les hommes et demeurèrent assises au milieu d’eux, sur les gradins, une jambe repliée en tailleur, l’autre pendante, posture habituelle des divinités dont elles desservent l’autel. C’étaient deux Devadasseris attachées à la pagode principale de Pondichéry, et qui, tout comme celles de Villenour, appartenaient à la grande division des castes brahmaniques, dite de la main droite.

Souffrez que je ne vous retrace pas l’histoire de ces deux mains, gauche et droite, dont les querelles de préséance ont, pendant deux siècles, et encore assez récemment, ensanglanté les rues de Pondichéry. Tout cela, quoi que d’origine peu ancienne, puisqu’on n’en trouve pas trace dans les législations de l’Inde antique, est aujourd’hui tombé à peu près dans l’oubli. Cependant les bayadères des pagodes de Kalaterwaram et de Katmachiwaram, qui sont de la main gauche, ne peuvent entrer dans les temples de la main droite. Il y a là matière à un volume entier. On devrait y raconter les rivalités des deux mains, énumérer leurs privilèges, parmi lesquels celui de tirer des boîtes d’artifice aux mariages, et citer, pour mémoire, la cupidité vraiment extraordinaire de la femme de Dupleix, cupidité telle qu’elle scandalisa, en son temps, les Indiens eux-mêmes. Mais à quoi bon parler de cette métisse qui sut mettre tout à l’encan. « Si, me disaient certains vieux Hindous, riches en souvenirs de famille, si Mme Dupleix avait pu nous vendre l’air qui se respire, elle n’y aurait pas manqué. » Aujourd’hui Dupleix est considéré, par l’école humanitaire et pacifiste, comme source de tout bien, tandis que Laly-Tollendal est encore mésestimé. C’est affaire de mode. Quand j’aurai revu les champs de bataille où s’éteignit notre fortune, quand j’aurai fini de lever copie des pièces d’archives qui ont échappé à la dent des termites, hôtes de la bibliothèque de Pondichéry, je vous écrirai sur cela… Sans souci des mains gauche et droite, j’en reviens aux bayadères de Pondichéry.

Ces deux là sont grandes et belles. Grandes surtout en comparaison des autres femmes présentes, presque toutes de taille très