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J’ai visité dans ses plus obscurs réduits la pagode de Villenour, gravi, sans crainte de me heurter le crâne aux corniches surbaissées, les sept étages de son gopura, dénombré les statues et les figures d’animaux, les chars, tous les accessoires du culte. Je vous en épargne l’énumération. Je vous fais grâce aussi de la fête solennelle du Nirpou-Tirournal, fête du feu, qui se donne chaque année, en juin, à Ariancoupom. Des centaines de dévots courent, pieds nus, sur une piste pavée de charbons ardens, à peine cachés sous un lit de cendres, et cela pour attester l’innocence de la belle Draupadi, commune épouse des cinq fils de Kourou. Au son des inslrumens les plus variés, les fidèles s’en vont, jaunes de curcuma, couronnés de fleurs, et suivent, en dansant, les effigies peintes et richement accoutrées de Draupadi et de Darma Radjah. Puis, arrivés devant le chemin de feu, ils s’élancent, après s’être frotté le front avec les cendres, et traversent trois fois le tapis ardent, plus ou moins vite, selon le degré de leur zèle. Si l’on tient compte des quatorze mètres que mesure cette traînée de feu, on ne peut s’empêcher d’admirer ceux qui s’acquittent d’un pareil devoir. Certains, parmi les plus fervens, s’avancent, portant leurs enfans entre leurs bras. Ainsi les Hindous répètent-ils à l’envie le passage de Draupadi à travers le feu. Chaque année, la sainte femme s’astreignait à cette cérémonie purificatrice avant que de s’unir à son nouvel époux, l’un de ses cinq beaux-frères.

C’est un lieu commun de dire combien les Hindous chérissent dans le faste tout ce qui parle spécialement aux yeux. Pareils, en cela, à nos ancêtres des anciens régimes, ils se ruinent d’un cœur léger, pour paraître. Chacun, suivant sa condition, atteint à l’impossible, sans se soucier de s’endetter pour longtemps. L’appareil féerique des fêtes de la nuit ne fait que continuer les prodigalités du jour. Notre voiture roulait sur les jonchées de feuilles fraîches qui cachaient la chaussée de la rue, et nous étions encore loin de la maison nuptiale. De celle-ci la façade disparaissait sous les guirlandes de fleurs et de fruits. Fendant la foule épaisse, nous arrivons enfin. L’hôte est sur le seuil. Il s’empresse, nous entraîne dans la cour intérieure, avec force salutations, nous fait asseoir. On nous passe au cou l’inévitable guirlande de jasmin, on nous met dans la main une baguette de sandal et autres substances odorantes amalgamées avec une colle subtile. Les baguettes s’allument dégageant une odeur âcre et fine d’abord, puis ambrée. Et nous regardons.