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Quelques théoriciens de l’économisme, qui s’adonnaient en Russie à la littérature permise, se réclamaient de Bernstein, dont les brochures étaient autorisées par la censure. Mais les économistes d’action, auxquels leurs adversaires reprochaient de négliger la propagande de la révolution sociale, parce qu’ils recommandaient aux ouvriers la poursuite légale d’avantages matériels, estimaient au contraire qu’ils employaient la méthode la plus sûre pour les amener aux idées de liberté politique et de socialisme : Plekhanof devait plus tard le reconnaître. Mais, à cette date, il y avait, au sein du nouveau parti, lutte d’influence entre l’élément doctrinaire intellectuel, et l’élément prolétarien : les ouvriers réclamaient vainement leur admission dans le comité directeur.

Une Conférence, réunie en 1900 à l’étranger, ne réussit pas à établir la concorde entre économistes et orthodoxes. L’influence des deux écoles alternait selon les circonstances. Les économistes étaient en faveur dans les temps calmes et prospères. Dans les crises de chômage et les périodes orageuses, les orthodoxes reprenaient l’avantage.

Une vingtaine de grèves éclatèrent en 1901. Celle des usines Obloutchef, dont l’Empereur est propriétaire, prit le caractère d’une émeute politique. Les troubles de Rostof sur Don, en 1902, nous font assister à l’application successive des deux méthodes. Les premiers jours, sous la direction de l’ouvrier Stavsky, les revendications ouvrières gardent un caractère purement économique. Le troisième jour, dans une réunion, un intellectuel, Bragine, parle irrévérencieusement du tsar et soulève des protestations dans l’auditoire. Au bout de cinq jours, des milliers d’ouvriers vocifèrent : « A bas le tsar ! » En 1902, les démonstrations du 1er mai à Batoum, à Nidjni Novgorod suscitèrent des procès politiques. Dans un de ces procès, un ouvrier de vingt ans, Salomof, prononça un discours émouvant qui servit à la propagande et qui révélait la supériorité des nouvelles recrues. La grève générale de 1903 s’étendait comme un incendie dans tout le sud de la Russie, à Bakou, Batoum, Tiflis, Odessa, Kief, et comprenait 240.000 adhérens. Le courant politique, anti-gouvernemental, menaçait de devenir un torrent précipité.

La perspective d’une révolution prochaine avivait les rivalités et les querelles entre de nouvelles sectes, les fédéralistes dirigés par Axelrod et Martof ; et les centralistes jacobins, disciples de Lénine.