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que jadis celle d’éclairer les moujiks. Mais on fit bientôt la découverte de l’action des grèves sur les travailleurs non éduqués. Ceux-ci, dans leurs premières révoltes, s’attaquaient à la propriété des employeurs, brisaient les machines comme les ouvriers anglais au temps du chartisme. Ces troubles étaient sévèrement réprimés, on emprisonnait les grévistes, on les reléguait dans leurs villages, on expédiait les meneurs en Sibérie. Très prudens dans leur propagande, les social-démocrates recommandaient d’éviter les conflits avec la force armée. Plus les grèves deviendront nombreuses, plus il sera malaisé de sévir.

Au lieu donc de prêcher leurs savantes théories, les marxistes, dans leurs brochures et leur enseignement oral, engageaient les ouvriers à revendiquer une journée de travail plus courte, des salaires plus élevés, la suppression des amendes, des garanties contre l’arbitraire des contremaîtres. Ils leur rendaient ainsi visible la communauté des intérêts du travail contre les patrons, la nécessité de l’esprit de corps. Sans attaquer directement le pouvoir, ils faisaient sentir aux ouvriers la nécessité d’obtenir le droit de se coaliser, et tout d’abord de se réunir, de délibérer en commun sur leurs intérêts les plus pressans.

Cette propagande se poursuivit d’abord sans manifestation extérieure. En 1894, il y eut des troubles dans différentes fabriques de Pétersbourg. Les social-démocrates manœuvraient dans la coulisse. En 1896, 30.000 tisserands se mettaient en grève : jusque-là silencieuses, les masses prolétariennes élèvent la voix. Elles ne font que répéter la leçon des social-démocrates qui, pour la première fois, prennent contact avec elles ; l’Union de combat pour l’émancipation des travailleurs avait dressé la liste de leurs exigences. Bientôt les grèves s’enflent et se multiplient. Celles de 1896 atteignent trente-cinq gouvernemens et ont pour résultat la loi de 1897 qui limite la journée de travail à 11 h. 1/2. Les ouvriers reconnaissent dès lors dans les socialistes des guides qui procurent des avantages solides et palpables.

A mesure que le mouvement s’amplifiait, des divergences de tactique séparaient les social-démocrates. Un Congrès clandestin, réuni en 1898, où fut fondé le parti social-démocrate russe, cherchait à établir un lien entre les groupes de Pétersbourg, Moscou, Ivief, Ekaterinoslav. Bientôt les économistes s’opposaient aux politiques.