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jugeaient leur appartenir et ils ne recevaient pas gratuitement les parts qu’on leur attribuait ; les champs qu’on leur assignait en partage étaient les moins fertiles. Ils ne se révoltèrent pas ; leur attachement au Tsar ne fut pas altéré ; ils accusaient toujours de fraude les propriétaires et les nobles. Ceux-ci conservaient les meilleures terres et recevaient une indemnité pour les autres.

La bourgeoisie, qui ne formait qu’une mince couche sociale, n’était pas moins favorable que la noblesse au nouveau règne : le Tsar se préparait à satisfaire, par d’autres réformes, les aspirations libérales. Enfin le prolétariat urbain, sans instruction, encore peu nombreux, demeurait calme et apathique.


IV. — LES NIHILISTES

Un seul groupe était porté vers l’opposition, la jeunesse des universités : à partir de 1860, elle entre sur la scène politique, pour ne plus la quitter.

En France, c’est la petite bourgeoisie qui, pendant la Révolution française, puis en 1830, en 1848, en 1871, a joué le rôle le plus considérable ; elle occupe aujourd’hui le pouvoir et prétend le conserver, grâce à la fiction que c’est le peuple qui gouverne par elle. En Russie, cette classe de la petite bourgeoisie, rurale et urbaine, est nationaliste, réactionnaire, ou passive : le rôle de mandataires prétendus, de représentans spontanés des classes populaires sera rempli par les étudians. Partout et toujours, la jeunesse cultivée se montre idéaliste, disposée à l’opposition, portée vers les opinions extrêmes, impatiente, irréfléchie, ne connaissant pas d’obstacles. Cette maladie de croissance passe en Russie comme ailleurs : nombre d’intransigeans de vingt ans qui s’insurgent contre les abus deviennent, à trente, des tchinovniki, des fonctionnaires trop souvent sans scrupules, des philistins d’État qui ne songent qu’à leur avancement. Mais la jeunesse russe perd plus aisément l’équilibre ; les jeunes gens vivent en camaraderie avec les jeunes filles admises aux écoles, qui achèvent de les exalter.

Cette nouvelle catégorie d’étudians radicaux des deux sexes était inconnue avant le règne d’Alexandre II. À partir de son