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de la liberté, et dit que si pareille chose se renouvelait, Serrano, Topete et lui partiraient, les laissant se débrouiller. Il obtient de la junte de Madrid qu’elle se déclare dissoute, et invite les autres juntes à imiter son exemple ; à ceux qui le menacent du peuple armé, ii répond : « Il ne me faudrait pas deux heures pour le désarmer ! » Serrano n’est pas moins énergique : il promet toutes réparations au Nonce, le fait rester à Madrid, lui envoie une garde. « La situation, lui avoue-t-il, n’est plus tenable ; il n’y a pas de gouvernement ; chacun tire de son côté ; dans les provinces, l’anarchie est complète, il n’y a plus moyen d’échapper à une lutte, le plus tôt sera le mieux ; je n’en attends que l’occasion, je croyais qu’elle se présenterait dans quinze jours, ce sera probablement avant. Il nous faut absolument un roi, et tout de suite ! Tant que le trône sera vide, les choses ne peuvent aller que de mal en pis. »

Prim et Serrano trouvèrent, dans leurs idées d’ordre par la monarchie, un auxiliaire précieux dans Olozaga. Il avait été le promoteur de la campagne anti-dynastique ; vingt ans il avait préparé la révolution ; il eût été naturel qu’il fût au premier rang parmi ceux qui la gouvernaient ; cependant, ne se sentant pas homme d’action, il préféra se réserver d’abord le rôle de conciliateur et de modérateur, puis, les affaires intérieures mises en cours régulier, il comptait aller à Paris, comme ambassadeur, assurer la situation extérieure de l’Espagne par une alliance sérieuse avec la France et son souverain qu’il aimait. Il espérait d’autant plus y parvenir que sa conviction personnelle le rendait l’ennemi des deux solutions déplaisantes à Napoléon III : la République ou Montpensier. « Des Bourbons, disait-il, il ne voulait pas plus les branches que le tronc. » Mais on n’exclut que ce qu’on remplace et, en homme pratique, il sentait que le seul moyen d’empêcher Montpensier de devenir la carte forcée était de trouver immédiatement un roi autre. Où le prendre ?

Les hommes d’État de la Puerta del Sol parlaient du Duc de Gènes, d’un fils de la reine d’Angleterre, mais ces noms ne prirent aucune consistance. D’Allemagne vint une suggestion plus sérieuse : quelques journaux lancèrent le nom de Léopold, prince héritier de la branche catholique des Hohenzollern, dont le prince Antoine était le chef, gendre du roi de Portugal, colonel à la suite d’un régiment prussien, dont on disait beaucoup de bien et qui devait être un jour à la tête d’une fortune considérable. Mais aussitôt