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autres par une équivoque emphatique et il leur dit : « Ne préjugeons rien, laissons la question ouverte ; ne nous occupons que de démolir. Le peuple nous départagera ensuite. » Et chacun, préférant l’équivoque à l’abandon de ses prétentions, le programme adopté par les trois partis coalisés fut : « A bas les Bourbons 1 Souveraineté nationale ! Cortès constituantes. »

La Reine, épouvantée, se rejeta vers Narvaez. Ce ministre entre à pleins bords dans la réaction cléricale absolutiste. Il légifère par décrets : défense à la presse de commenter les actes du gouvernement ; remise au clergé de l’Instruction publique ; nomination, sous une pression énergique, d’une Chambre servile dans laquelle il n’y avait que trois députés d’opposition dont Canovas. Maître absolu du gouvernement, il exerce à la Cour, dans l’armée, aux Cortès, une autorité sans rivale, brise tous les obstacles, comprime toutes les tentatives de révolte et prouve, par son succès, qu’il n’y a de perdus que les gouvernemens qui ne savent ni tout à fait concéder, ni tout à fait réprimer. En vain, Prim, infatigable en son espérance, fait appel aux révolutionnaires cosmopolites, noue des trames en Italie avec les Garibaldiens, et, sous la tolérance tacite de la police italienne, organise à Pistoia un comité de recrutement. La main de fer de Narvaez rend ses efforts inutiles ; Prim est vaincu. Mais la Destinée vient à son aide. Le 23 avril 1868, Narvaez meurt d’une pneumonie, à soixante-dix ans, dans toute la vigueur de sa volonté et de son intelligence. Sa dernière parole fut : Esto se acabo. (Tout est fini.) On raconta que son confesseur lui ayant dit : « Pardonnez-vous à vos ennemis ? » il répondit : « Je n’en ai plus, mon Père. — Comment ? — Oui, je les ai fait tous fusiller. »


III

Son successeur fut Gonzalès Bravo. L’homme avait de la valeur, un grand courage, un remarquable talent d’orateur, de la clairvoyance. Il ne se faisait aucune illusion sur les fautes de la royauté, mais il se rendait compte aussi de ses périls et jugeait qu’aucune amélioration n’était possible en l’état actuel tant que le respect de l’ordre légal ne serait pas rétabli et que le salut matériel de la